Qu'est-ce qui explique la biodiversité des îles ?
Une nouvelle étude publiée dans la revue Nature, basée sur des données moléculaires de centaines d'espèces d'oiseaux de 41 archipels océaniques dans le monde, révèle comment la superficie et l'isolement des îles sont essentiels pour déterminer la diversité des espèces qu'elles contiennent.
La réparation des êtres vivants à la surface de la Terre n'est ni régulière ni uniforme. Certaines régions sont plus riches en espèces que d'autres, ou possèdent un cortège d'espèces qui leur est propre. Comprendre la nature et les causes de cette variation est l'un des enjeux majeurs de cette discipline que l'on nomme la biogéographie, à l'interface entre l'écologie, les sciences de l'évolution, et la géologie. Les îles volcaniques océaniques constituent depuis les travaux pionniers de Darwin et Wallace les zones d'études favorites des biogéographes.
Il y a un peu plus d'un demi-siècle, en 1963, Robert MacArthur, mathématicien et naturaliste, et Ed Wilson, entomologiste, s'intéressèrent au problème et proposèrent une des théories les plus importantes de la biologie moderne, la théorie de biogéographie insulaire. Partant des observations que les îles de grande superficie abritent plus d'espèces que les îles de petite superficie, et que les îles isolées abritent moins d'espèces que les îles proches des continents, MacArthur et Wilson imaginèrent un modèle mathématique simple selon lequel le nombre d'espèces sur une île résulte d'un équilibre dynamique entre les processus de colonisation des îles et d'extinction des espèces présentes sur les îles. Ce modèle prédit bien la variation du nombre d'espèces selon la superficie et l'isolement des îles. Une observation, toutefois, ne put être prise en compte dans le modèle de MacArthur et Wilson, celle que les espèces évoluent et qu'au cours du temps se forment sur les îles des espèces nouvelles et différentes de leurs apparentés sur les continents.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, aucune étude jusqu'à présent n'a pu rendre compte de façon globale des relations qui lient précisément la superficie et l'isolement des îles aux probabilités de colonisation, de formation de nouvelles espèces, et d'extinction des espèces présentes sur les îles. L'estimation de ces relations a même semblé hors d'atteinte des possibilités de la recherche pendant des décennies, en raison des difficultés liées à l'estimation de l'histoire évolutive des espèces.
Dans une nouvelle étude publiée dans la revue Nature, un collectif de chercheurs, composé d’ornithologues, de biologistes de l'évolution et de mathématiciens, emmené par Luis Valente (Museum für Naturkunde Berlin / Naturalis Biodiversity Center, Leiden), et comprenant des chercheurs de l'Institut de Systématique, Evolution, Biodiversité (MNHN/CNRS/EPHE/Sorbonne Université) et du laboratoire Evolution et Diversité Biologique (EDB – CNRS/Univ. Toulouse III-Paul Sabatier/IRD) a pu quantifier, pour la première fois, la dépendance des processus de colonisation, de spéciation, et d'extinction vis-à-vis de la superficie et de l'isolement des îles. A l'aide d'un ensemble de nouvelles données sur les oiseaux des îles océaniques à l'échelle du monde, les chercheurs ont pu prouver que le taux de colonisation décroît avec l'isolement des îles, que le risque d'extinction décroît avec la superficie, et que la probabilité que des nouvelles espèces se forment augmente avec la superficie et l'isolement. Si ces résultats peuvent sembler intuitifs au premier abord, les données adéquates et les méthodes statistiques appropriées ont fait défaut jusqu'à présent pour mettre à l'épreuve de manière rigoureuse la théorie de MacArthur et Wilson. L'étude de Valente et de ses collaborateurs, en plus d'avoir confirmé les prédictions de la théorie, fournit des estimations statistiquement robustes de la forme précise des relations entre ces paramètres-clés du processus d'édification des faunes et des flores que sont la colonisation, la spéciation, et l'extinction.
A l'aide de données génétiques obtenues sur des centaines d'espèces d'oiseaux insulaires, ayant fait l'objet de prélèvements sanguins au cours de nombreuses expéditions dans des dizaines d'archipels océaniques sur une vingtaine d'années, les auteurs ont développé et mis en œuvre un nouveau modèle qui permet de prédire la richesse en espèce sur de nombreuses îles à l'échelle de la planète. Ce modèle prédit remarquablement bien le nombre d'espèces de certains archipels, comme Hawaii ou les Iles Canaries. En revanche, quelques archipels abritent un plus grand nombre d'espèces que celui qui est prédit par le modèle, notamment les Comores et São Tomé & Príncipe, deux archipels dont l'avifaune, encore peu étudiée, mériterait plus d'attention de la part des ornithologues
Un résultat de l'étude est tout à fait étonnant et presque inattendu : alors que les îles océaniques sont surtout connues pour être le lieu propice aux radiations spectaculaires d'espèces, comme par exemple les Pinsons de Darwin où une espèce ancestrale se diversifia en plus de 15 espèces après avoir colonisé l'archipel des Galápagos, dans une large majorité des cas, la richesse des peuplements insulaires s'explique surtout par l'évolution des espèces colonisatrices sans multiplication du nombre d'espèces à l'intérieur des archipels ou des îles. Cette étude constitue une percée tant théorique que méthodologique dans l'analyse des processus fondamentaux qui gouvernent la biodiversité globale.
Référence
A simple dynamic model explains the diversity of island birds worldwide. Valente, L., Phillimore, A.B., Melo, M. et al. A simple dynamic model explains the diversity of island birds worldwide. Nature. 02/19/2020
https://doi.org/10.1038/s41586-020-2022-5