Quelles priorités pour la conservation de la nature en Europe ?
De nombreux Etats se sont engagés à protéger 30 % de la surface de la Terre d'ici à 2030 afin de sauvegarder la biodiversité et les services écosystémiques, mais quoi protéger exactement, et où, reste une question ouverte. Dans une étude parue dans Science, des scientifiques, dont plusieurs sont issus du Laboratoire d'Écologie Alpine (LECA – CNRS / Université Grenoble Alpes / Université Savoie Mont-Blanc), ont identifié des zones prioritaires qui peuvent améliorer la conservation des espèces, et des services écosystémiques de régulation (ex. : la séquestration du carbone, la pollinisation, la protection contre les inondations) et culturels (ex. : la nature patrimoniale, la cueillette) en Europe. Les zones de congruence entre ces trois valeurs sont rares, mais une stratégie focalisée sur la préservation des espèces permet de protéger simultanément plusieurs valeurs de la nature.
L’Europe compte plus de mille espèces différentes de vertébrés terrestres, qui dépendent d’une grande diversité d’écosystèmes, comme les zones humides, forêts, ou prairies. Environ un tiers de ces espèces sont endémiques à l’Europe. 16 % sont menacées d’extinction (Figure 1). Les amphibiens sont particulièrement touchés : 25 % des espèces d’amphibiens sont menacées d’extinction. Les écosystèmes abritent non seulement des espèces mais procurent aussi des services écosystémiques dont dépendent nos sociétés, comme la pollinisation, la séquestration du carbone, la prévention des inondations, ou la régulation de la qualité de l’air en ville. Les écosystèmes sont aussi importants d’un point de vue culturel, pour la cueillette, le tourisme basé sur la nature et les paysages patrimoniaux par exemple. Aujourd’hui, la plupart des services écosystémiques sont en déclin mondialement, à l'exception de ceux liés à l’utilisation de ressources naturelles (comme la production de bois, ou l’agriculture).
Les scientifiques s'accordent à dire que les zones protégées doivent être étendues pour sauvegarder les espèces et la dégradation des services écosystémiques. Mais où placer de nouvelles aires protégées ? Le continent européen est en effet fortement contraint par les activités humaines, et 20% de la surface continentale est déjà recouverte par les zones Natura 2000. Ce réseau d’aires protégées de l'Union Européenne est l’un des plus denses de la planète, et intègre une diversité de pratiques de gestion, des réserves naturelles strictes aux zones à usages multiples. Cette variété de types de gestion est pertinente pour la conservation de différentes valeurs de la nature, surtout dans un contexte où les activités humaines dominent déjà les paysages.
Dans cette étude, des scientifiques, dont certains issus du Laboratoire d'Écologie Alpine (LECA – CNRS / Université Grenoble Alpes / Université Savoie Mont-Blanc) ont identifié et comparé les zones de priorité pour la conservation pour trois valeurs importantes de la nature en Europe (Figure 2):
- la biodiversité, représentée par 785 espèces de vertébrés terrestres, dont 124 sont menacées;
- les services écosystémiques de régulation, représentés par la séquestration du carbone, la régulation de la qualité de l'air, la prévention des inondations et la pollinisation ;
- les services écosystémiques culturels, représentés par les forêts patrimoniales, l’agriculture patrimoniale, la cueillette de champignons et de plantes, et le tourisme basé sur la nature.
Le constat : les zones de priorités des trois valeurs coïncident dans moins de 1% de la surface de l’UE, principalement dans les forêts méditerranéennes. Les zones pour les espèces et pour les services de régulation sont largement représentées dans quelques écosystèmes clés, mais pas dans les mêmes endroits. Les zones de priorité pour les espèces sont principalement situées en Méditerranée, en Europe de l'Est et en Scandinavie. De l’autre côté, les priorités pour les services de régulation sont principalement situées dans les forêts de Roumanie, les habitats semi-naturels d'Espagne, la végétation périurbaine de Suède et les écosystèmes riverains d’Europe centrale. Les zones de congruence sont rares, et cela montre qu’il faut considérer la multiplicité des relations qui lient les humains à la nature en matière de conservation.
Toutefois, les priorités définies pour les espèces permettent de maximiser la conservation de l'ensemble des valeurs de la nature, tandis que les priorités définies uniquement sur les services écosystémiques entraînent davantage de pertes indirectes pour la biodiversité, en particulier pour les espèces menacées. Cela s'explique par le fait qu'il existe des zones irremplaçables pour les espèces, et que les vertébrés sont présents dans un ensemble varié d'écosystèmes, y compris ceux qui fournissent des services écosystémiques.
Les chercheuses et chercheurs ont ensuite quantifié les niveaux de protection des espèces et des services écosystémiques au sein des zones Natura 2000, et identifié les endroits où il faudrait idéalement étendre ce réseau d’aires protégées, compte tenu de ce qui est déjà protégé. Bien que Natura 2000 couvre environ 20 % de la surface de l'UE, le réseau ne protège que 30 % des écosystèmes essentiels pour les services de régulation, et 36 % des espèces en moyenne. Il est possible d’améliorer la protection des espèces et des services écosystémiques, même avec une faible extension des zones protégées, à condition de bien les placer. Par exemple, une protection additionnelle de 5 % de la surface de l’UE pourrait doubler la protection actuelle des espèces de vertébrés et des services écosystémiques de régulation, et protégerait près de 75 % des espèces menacées (Figure 3).
Les zones identifiées sont d’une grande importance pour la conservation de la nature à l’échelle européenne. Ces écosystèmes abritent potentiellement une majorité d’espèces de vertébrés terrestres et procurent des services écosystémiques indispensables pour nos sociétés. Elles sont irremplaçables (i.e., elles contiennent des espèces qui ne sont présentes nulle part ailleurs) et elles optimisent la protection de chaque espèce et de chaque service écosystémique dans un minimum de surface terrestre. Cette étude parue dans Science est une étape préliminaire pour une meilleure intégration des valeurs de la nature dans la conservation. La mise en place de ces zones protégées dépendra d’une multitude d’acteurs locaux et de la faisabilité sociale et économique - des dimensions qui n’ont pas encore été explorées dans cette étude, mais qui devront être considérées à l’avenir.
Par ailleurs, une coordination internationale pour la conservation de la nature sera vitale pour enrayer le déclin de la biodiversité mondiale. Pour citer Georgina Mace et al. (2018) : « on a maintenant besoin d’objectifs audacieux et bien définis, et d’un ensemble d'actions crédibles, pour rétablir l'abondance de la nature à des niveaux afin que prospèrent à la fois les sociétés et la nature. »
Les objectifs de développement durable
- ODD 13 - Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques
Les zones de priorité identifiées sont particulièrement pertinentes pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, car elles visent à protéger (entre autres):
- Les écosystèmes terrestres qui séquestrent le carbone atmosphérique, qui peuvent atténuer le réchauffement climatique.
- Les écosystèmes qui peuvent réguler les inondations, ce qui pourrait limiter les dommages liés aux événements climatiques extrêmes, tels que les fortes pluies.
- ODD 15 - Vie terrestre
Les zones identifiées sont des écosystèmes qui sont essentiels pour la survie des espèces de vertébrés terrestres. La protection de ces zones pourrait éviter des extinctions des espèces de vertébrés terrestres.
- ODD 17 - Partenariats pour la réalisation des objectifs
Ces résultats confirment l’importance de la coopération internationale pour optimiser la protection des espèces et des services écosystémiques à l’échelle de l’Europe.
Références
O’Connor, Louise MJ, Laura J. Pollock, Julien Renaud, Willem Verhagen, Peter H. Verburg, Sandra Lavorel, Luigi Maiorano, and Wilfried Thuiller. "Balancing conservation priorities for nature and for people in Europe." Science 372, no. 6544 (2021): 856-860.