Quand les motifs des signaux sexuels imitent ceux des habitats

Résultats scientifiques

Une caractéristique des signaux sexuels des animaux, qui les différencie de traits sans fonction de communication, est leur importante diversité de formes et couleurs. Une étude pilotée par des chercheurs du CNRS et de l’Université du Maryland-Baltimore County, parue dans la revue Nature Communications, s’intéresse aux mécanismes à l’origine de cette diversité de motifs des signaux sexuels dans la nature. L’étude suggère que la diversité est en partie déterminée par les propriétés visuelles des habitats. Les chercheurs se sont intéressés à une propriété visuelle particulière, appelée « invariance à l’échelle », qui décrit le fait qu’un motif reste identique à diverses échelles spatiales. Ils ont mesuré l’invariance à l’échelle des motifs corporels de 10 espèces de poissons de rivières américaines et l’ont comparée à celle de leurs habitats. Leur étude montre une corrélation entre l’invariance à l’échelle des poissons et celle des habitats chez les mâles en période de reproduction, mais pas chez les femelles. Ce résultat fait écho à des travaux menés chez l’homme montrant que les peintres artistes, de manière inconsciente ou non, ont tendance à imiter l’invariance à l’échelle des paysages naturels pour rendre leurs œuvres plus attractives.

L’évolution des motifs des signaux sexuels demeure une énigme pour la biologie évolutive. Il n’existe toujours pas, par exemple, d’explications au fait qu’une espèce de poissons récifaux puisse être rouge avec des bandes horizontales bleues alors que son espèce sœur est bleue à points jaunes, ni au fait que les ocelles de la queue du paon sont formées de disques bleus entourés de turquoise et non l’inverse. Indépendamment de la recherche en biologie évolutive, l’étude des préférences pour les formes et les couleurs est un sujet d’études majeur en sciences cognitives chez l’homme, et notamment dans la recherche expérimentale sur l’esthétique. De nombreux travaux ont notamment montré que les motifs imitant certaines propriétés visuelles de la nature ont tendance à être jugés beaux. C’est le cas par exemple de l’invariance à l’échelle, la propriété d’un motif à paraître inchangée lorsque l’on zoome ou dézoome. Une précédente étude a ainsi montré que les portraits artistiques, quels que soit les époques, cultures et styles, ont tendance à imiter le degré d’invariance à l’échelle qui est caractéristique des paysages naturels, et non le degré d’invariance à l’échelle caractéristique des visages (Redies et al. 2007). Ainsi, les artistes imiteraient, consciemment ou non, le degré d’invariance à l’échelle de la nature pour rendre leurs œuvres visuellement plus attractives. Est-ce que ce phénomène pourrait expliquer l’évolution des motifs des signaux sexuels dans la nature ? C’est ce que suggère une étude codirigée par Julien Renoult, chercheur CNRS au Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive de Montpellier, et sa collègue Tamra Mendelson de l’Université du Maryland, à paraître dans la revue Nature Communications (Hulse et al., 2020). Les chercheurs ont étudié les motifs corporels de dix espèces de poissons du genre Etheostoma, des petites perches richement colorées peuplant les rivières d’Amérique du Nord et chez qui les mâles sont sélectionnées par les femelles. Ils ont comparé l’invariance à l’échelle de ces motifs à ceux des habitats, qui varient selon les espèces (sable, gravier, galets, roche en place ou encore végétation). Les chercheurs ont ainsi montré que les motifs des males en période de reproduction, contrairement à ceux des femelles, ont un degré d’invariance à l’échelle corrélé à celui des habitats. Ce résultat suggère qu’un même mécanisme perceptuel – l’imitation de propriétés visuelles de la nature – détermine l’attractivité de signaux visuels à la fois dans des artéfacts culturels humains tels que les œuvres d’art, et dans des signaux sexuels animaux. Chez l’homme, et donc aussi probablement chez les autres animaux, ce phénomène a une explication plus générale, connue sous le nom de « théorie esthétique de la fluence », qui prédit que les signaux de communication traités efficacement par le cerveau induisent une sensation de plaisir chez l’observateur (Renoult et Mendelson, 2019). Or, il est bien établi qu’au cours de l’évolution, le cerveau humain s’est adapté pour traiter rapidement et à moindre coût l’information contenue dans les scènes de paysages naturels. Ainsi, un signal de communication imitant les paysages naturels, qu’il soit une œuvre d’art ou un signal sexuel, produirait la libération de neurotransmetteurs du plaisir dans le cerveau. Mais en montrant que les signaux sexuels s’adaptent aux habitats spécifiques de chaque espèce, l’étude menée sur les poissons suggère également que l’imitation des scènes de paysages naturels par des signaux de communication pourrait en partie expliquer la diversité des signaux colorés observés dans la nature. Est-ce que ce mécanisme pourrait aussi contribuer à la diversification des artefacts culturels humains ? C’est à cette question que les chercheurs tentent désormais de répondre.

 

Photo Etheostoma caeruleum
Etheostoma caeruleum, une des dix espèces de poissons étudiées ayant permis de montrer une corrélation entre l’invariance à l’échelle des motifs corporels et ceux des habitats. © Julien Renoult.

 

Références :

Hulse, S., Renoult, J.P., Mendelson, T.M. (2020). Sexual signaling pattern correlates with habitat pattern in visually ornamented fishes. Nature Communications, 11: 2561.

Redies, C., Hänisch, J., Blickhan, M., & Denzler, J. (2007). Artists portray human faces with the Fourier statistics of complex natural scenes. Network: Computation in Neural Systems18(3), 235-248.

Renoult, J. P., & Mendelson, T. C. (2019). Processing bias: extending sensory drive to include efficacy and efficiency in information processing. Proceedings of the Royal Society B286(1900), 20190165.

Référence article:

Hulse, S.V., Renoult, J.P. & Mendelson, T.C. Sexual signaling pattern correlates with habitat pattern in visually ornamented fishes. Nat Commun 11, 2561 (2020). https://doi.org/10.1038/s41467-020-16389-0

Équipes de recherche

  • Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE - CNRS, Univ. Montpellier, Univ. Paul Valéry Montpellier 3, EPHE, IRD)
  • Université du Maryland-Baltimore County

Contact

Julien Renoult
Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE - CNRS, Univ. Montpellier, Univ. Paul Valéry Montpellier 3, EPHE, IRD)
Nathalie Vergne
Communication - Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE – CNRS/Univ Montpellier/ Univ Paul Valery Montpellier/ EPHE/IRD)