Pour les poissons clowns, les récifs profonds ne sont pas un refuge
Face aux contraintes anthropiques locales et mondiales pesant sur les récifs coralliens peu profonds, l'hypothèse des "refuges de récifs profonds" est un des espoirs. Des scientifiques du CRIOBE en Polynésie française ont publié dans la revue Fishes leur découverte de poissons-clowns vivant et se reproduisant entre 48 et 60 m de profondeur. En étudiant les populations peu profondes et mésophotiques*, et les épisodes d’anomalies thermiques extrêmes, il apparaît que le blanchissement met en péril la capacité des récifs profonds à servir de refuge aux populations de poissons-clowns.
La Polynésie française connaît une augmentation des épisodes de blanchissement des coraux dans les eaux peu profondes, déclenchés par les anomalies thermiques et les vagues de chaleur liées au changement climatique, une tendance qui se répète dans le monde entier. La température étant moins élevée en profondeur, il a été suggéré que les récifs profonds (mésophotiques*) pouvaient constituer des refuges contre les perturbations anthropogéniques et naturelles. En effet, les zones de récifs profonds sont au moins partiellement protégées des perturbations qui affectent les zones de récifs peu profonds et peuvent constituer une source de reproduction viable après une perturbation. Des scientifiques de France, du Chili et de l’Ecosse ont comparé les données de température de l’eau, de densité et de reproduction de poissons-clowns , et de blanchissement des anémones hôtes de ces poissons-clowns entre les récifs peu profonds et mésophotiques afin de tester cette hypothèse de zone refuge.
Des personnels du Centre de recherche insulaire et observatoire de l’environnement (CRIOBE) ont accumulé un savoir unique sur les écosystèmes mesophotiques et des données précieuses pour la recherche. Ils ont été surpris de découvrir des poissons-clowns Amphiprion chrysopterus vivant et se reproduisant à plus de 50 m de profondeur, alors que l’espèce se rencontre généralement à moins de 20 m de profondeur en Polynésie. Les plongeurs ont ainsi découvert 11 poissons-clowns entre 48 et 60 m de profondeur, dans trois îles réparties sur deux archipels (Tahiti et Moorea dans l’archipel de la société, Tikehau dans l’archipel des Tuamotus). Plusieurs évènements de ponte ont également été observés, prouvant que les couples vivant dans ces récifs profonds se reproduisent à un rythme similaire par rapport à leurs congénères peu profonds. La survie de ces poissons-clowns et la présence d’œufs à grande profondeur pouvait corroborer l’hypothèse des récifs profonds refuges.
En 2019, les scientifiques ont constaté un épisode de blanchissement massif des anémones à Moorea affectant même les anémones à 50 m de profondeur. Afin de mieux comprendre comment ce blanchissement extrême avait pu se produire, ils ont comparé les données de température à 8 et 50 m sur Moorea de 2011 à 2020 acquises par l’implantation et l’exploitation d’enregistreurs de température sur des très longues séries temporelles par le Service National d’Observation CORAIL. Ils ont pu montrer que pendant les anomalies thermiques, malgré un décalage temporel avant que les eaux chaudes de surface atteignant les récifs mésophotiques. Les auteurs de cette étude constatent qu’il y a eu une augmentation de 1.5 °C de la température de l'eau à chaque profondeur (8 et 50 m), poussant les températures au-delà des seuils de blanchissement à ces deux profondeurs.
Le blanchissement des anémones profondes peut avoir un impact sur les dynamiques de la metapopulation des poissons-clowns. En outre, ce phénomène est connu pour induire un stress chez les poissons résidents, diminuant leur forme physique et leur reproduction. Le blanchissement observé dans les récifs mésophotiques met en péril la capacité des récifs profonds à servir de refuge aux populations de poissons-clowns face au réchauffement climatique. Un suivi annuel permettrait de déterminer si le blanchissement demeure moins intense en profondeur, conservant une issue de secours face au réchauffement en surface.
*récif mésophotique : Un « récif corallien mésophotique » (ou « récif corallien crépusculaire ») est un récif situé à une profondeur, en général au-delà de 30 m de profondeur, caractérisé par une plus faible luminosité ambiante.
Laboratoire CNRS impliqué
- Centre de recherche insulaire et observatoire de l’environnement (CRIOBE – CNRS / Univ. Perpignan Via Domitia / EPHE)
Objectifs de Développement durable
- Objectif 13 : Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques
- Objectif 14 : Vie aquatique
L’étude participe à la compréhension des conséquences du changement global sur les populations naturelles et à l’élaboration de mesures de protection spécifiques à certains écosystèmes.
Référence
Haguenauer, A.; Zuberer, F.; Siu, G.; Cortese, D.; Beldade, R.; Mills, S.C. Deep Heat: A Comparison of Water Temperature, Anemone Bleaching, Anemonefish Density and Reproduction between Shallow and Mesophotic Reefs. Fishes 2021, 6, 37.