Peine de coeur dans l'aquarium : le chagrin d'amour rend les poissons pessimistes
« Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. » Quand celui ou celle que vous aimez est loin de vous, tout paraît terne, vous ne voyez plus le monde à travers les lunettes roses de l’amour. Il est possible qu’un tel attachement émotionnel existe aussi chez les animaux. Le cichlidé zébré Amatitlania siquia est un petit poisson monogame qui forme des couples stables dans le temps et se caractérise par l’étroite coordination entre les parents lors de la construction du nid et les soins parentaux. C’était donc un parfait candidat pour tester l’idée qu’il n’y a pas que chez l’humain que les états émotionnels sont affectés par l’absence du partenaire. Des biologistes du Laboratoire Biogéosciences (Biogéosciences – CNRS/EPHE/Univ Bourgogne) sont parvenus à quantifier objectivement l’impact émotionnel de la séparation d’avec le partenaire : quand celui-ci était retiré de l’aquarium, l’individu restant devenait pessimiste. Cette étude, publiée dans Proceedings of the Royal Society B, est la première démonstration chez le poisson d’un attachement émotionnel à son partenaire. Elle interroge aussi sur la fonction adaptative d’un tel attachement.
Les psychologues font l’hypothèse que l’attachement émotionnel entre partenaires aurait évolué pour promouvoir la stabilité du couple et les soins biparentaux qui sont des éléments essentiels du succès reproducteur de notre espèce. Il n’est pas non plus exclu que l’attachement émotionnel ait aussi pu apparaître indépendamment chez d’autres espèces, notamment les espèces monogames qui requièrent des soins biparentaux sur une longue période durant le développement des jeunes. Mais quand il s’agit d’étudier les émotions chez l’animal, on est confronté à un problème méthodologique : comment évaluer objectivement ce qui est souvent perçu comme un sentiment subjectif ? Pour répondre à cette question, les éthologues du Laboratoire Biogéosciences (Biogéosciences – CNRS/EPHE/Univ Bourgogne) se sont placés dans un cadre conceptuel rigoureux développé en psychologie humaine, le test du biais du jugement, utilisé ici pour la première fois chez un poisson. Les sujets étaient préalablement entrainés à discriminer une boite récompensée (contenant un ver de vase, une friandise pour ces poissons) d’une boîte non récompensée, reconnaissable à leur couleur blanche ou noire. Les poissons apprennent à ouvrir rapidement la boite récompensée et sont beaucoup plus lents à ouvrir la boîte non récompensée. Que se passe-t-il quand on leur propose une boîte de couleur grise ambiguë? Le temps qu’ils mettent à l’ouvrir est un indicateur de leur état émotionnel : les optimistes devraient être plus enthousiastes que les pessimistes. C’est l’effet « verre à moitié plein ou à moitié vide ». Comme chez l’humain, l’absence du partenaire a affecté la réponse des poissons au test du biais de jugement et donc leur état émotionnel, ceux-ci devenant pessimistes. Un tel attachement émotionnel au partenaire est un des premiers critères définissant l’amour romantique, qui est généralement considéré comme propre à notre espèce. Pourtant cette étude, publiée dans Proceedings of the Royal Society B semble indiquer que l’amour romantique est peut-être un sentiment que l’on retrouve aussi chez d’autres espèces.
Référence
Laubu C, Louâpre P, Dechaume-Moncharmont F-X. 2019 Pair-bonding influences affective state in a monogamous fish species. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences 20190760