Mouillés jusqu’aux oreilles : adaptations aquatiques multiples chez les hippopotamoïdes

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Les hippopotames sont les plus proches parents des cétacés, ce qui pose la question d’une origine commune de l’adaptation au milieu aquatique dans ces deux groupes. Les structures liées à l’audition sont fortement modifiées lors d’une perception « aquatique », comme cela a pu être démontré à maintes reprises chez les cétacés. Dans un article  publié dans le Zoological Journal of the Linnean Society, une équipe scientifique retrace 40 millions d’années d’évolution de l’oreille chez les hippopotamoïdes, une branche jusque-là négligée de cette histoire. Les résultats démontrent des adaptations aquatiques multiples à partir d’un ancêtre terrestre, renforçant l’hypothèse d’adaptations convergentes au milieu aquatique chez les hippopotames et les cétacés.

Depuis que les données moléculaires ont identifié les hippopotames comme les plus proches parents des cétacés, l'hypothèse d'un ancêtre aquatique/semi-aquatique commun à ces deux groupes a été naturellement proposée. De façon surprenante, si la question des affinités aquatiques des premiers cétacés a été largement étudiée, ce n'est pas le cas pour les ancêtres des hippopotames, dont la paléoécologie reste largement indéterminée. Les organes sensoriels sont drastiquement affectés lors du passage d’un mode de vie terrestre à un mode de vie aquatique. Ainsi, les cétacés et les hippopotames montrent-ils de profondes modifications des organes sensoriels, notamment ceux de l’équilibration et de la perception des sons.

Analyse en composante principale montrant la répartition des caractères fonctionnels de l’oreille interne (partie auditive) chez des artiodactyles terrestres et les hippopotamoïdes considérés dans l’étude.
Analyse en composante principale montrant la répartition des caractères fonctionnels de l’oreille interne (partie auditive) chez des artiodactyles terrestres et les hippopotamoïdes considérés dans l’étude. © Orliac M. J.

Cette publication impliquant des scientifiques du CNRS permet de caractériser les affinités aquatiques des hippopotamoïdes sur une période couvrant 40 millions d’années de leur évolution par une étude de la morphologie et de la morphométrie de la région auditive incluant l'os pétreux (le rocher chez l’homme) et l’oreille interne. Ces structures, internes au crâne, ont été extraites virtuellement en 3D à partir de données de microtomographie à rayon X. Les caractéristiques fonctionnelles de la région auditive indiquent que les hippopotamoïdes étaient primitivement terrestres et que l’adaptation à un mode de vie semi-aquatique s'est produite de manière convergente sur trois continents différents, au cours de périodes géologiques distinctes. Les premiers traits semi-aquatiques sont observés en Afrique au début de l'Oligocène (Bothriogenys 33-28 Ma), puis une autre phase d'amphibiose est documentée au début du Miocène (22-18 Ma) chez des groupes éloignés d’hippopotamoïdes : en Afrique/Europe (Brachyodus), en Amérique du Nord (Arretotherium) et en Asie (Sivameryx). En Asie, une spécialisation croissante de la région auditive est observée chez Merycopotamus au cours du Miocène, concomitante avec l'intensification de la saisonnalité (mise en place de la mousson indienne). En Afrique, Libycosaurus du Miocène supérieur (11-7 Ma) montre une adaptation aquatique très marquée, alors que la province saharienne connaît une aridité accrue.

Modèle 3D d’un os pétreux d’hippopotamoïde
Modèle 3D d’un os pétreux d’hippopotamoïde fossile montrant en transparence le moulage de l’oreille interne © Orliac M. J.

Ainsi, l'histoire évolutive des hippopotames montre qu'ils ont développé un mode de vie amphibie dans un contexte d'aridité croissante : l'immersion du corps dans l'eau pourrait être comme une réponse pour protéger la peau fragile de ces animaux contre les dommages causés par le soleil. Les dispersions successives et les adaptations à l'habitat aquatique peuvent avoir été des "réponses d'urgence" aux conditions environnementales défavorables auxquelles ont été confrontés les hippopotames à partir de l'Oligocène. Ces réponses ont permis à cette superfamille de persister jusqu'à aujourd’hui. En outre, le signal fonctionnel intégré de la région auditive, en accord avec d’autres proxies d’anatomie crânienne et de microanatomie osseuse, soutient les acquisitions convergentes du comportement semi-aquatique chez les hippopotames et les cétacés. Ceci rejoint les conclusions d’études moléculaires récentes portant sur d’autres aspects liés au mode de vie aquatique, en recalant cette histoire évolutive dans le temps grâce aux données fossiles.

Reconstitution de différents hippopotamoides fossiles
Reconstitution de différents hippopotamoides fossiles, de gauche à droite Siamotherium, Microbunodon, Elomeryx, Libycosaurus. © Orliac M. J.

 

Laboratoires CNRS impliqués

  • Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier (ISEM - CNRS / IRD / Université de Montpellier)
  • Laboratoire Paléontologie Evolution Paléoécosystèmes Paléoprimatologie (PALEVOPRIM - CNRS / Université de Poitiers)
  • Centre français d'études éthiopiennes à Addis Abeba (CFEE - CNRS / Ministère de l’Europe et des affaires étrangères)

Référence de la publication

Orliac M J, Mourlam M J, Boisserie J R, Costeur L, Lihoreau F. Evolution of semiaquatic habits in hippos and their extinct relatives: insights from the ear region. Zoological journal of the Linnean Society. In press

Contact

Maëva Orliac
Institut des Sciences de l'Évolution de Montpellier (ISEM - CNRS/IRD/Univ. Montpellier)
Fadéla Tamoune
Communication - Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (ISEM - CNRS/Univ. Montpellier/IRD)