Mieux décider comment conserver les récifs coralliens en prédisant la capacité de régénération des communautés de poissons
Mesurer la capacité de régénération des communautés de poissons de récifs coralliens est essentiel pour proposer des stratégies de conservation adaptées pour ces écosystèmes. Dans une publication parue dans Nature Sustainability, des scientifiques du projet international ReefFuture ont prédit la croissance de plus de 4 millions d’individus de 1400 espèces pour calculer le renouvellement de la biomasse en poissons sur plus de 1900 récifs coralliens à travers le monde. Ils proposent des pistes pour intégrer ces mesures temporelles dans la conservation et la gestion des récifs coralliens.
Les récifs coralliens sont un pilier de la vie marine : ils ne recouvrent que 0,1 % de l’Océan mais abritent plus d’un tiers de la biodiversité marine. Leur disparition, causée par le dérèglement climatique, la surexploitation des ressources et la pollution aura des conséquences lourdes pour les écosystèmes marins mais aussi pour les millions de personnes qui en dépendent pour survivre, notamment à travers la pêche. En ce sens, trouver des stratégies de conservation et de gestion adaptées pour ces écosystèmes est un enjeu crucial.
Historiquement, les scientifiques et les gestionnaires ont utilisé la mesure de la biomasse, soit la masse de tous les poissons d’un écosystème, pour évaluer l'état des écosystèmes récifaux. Mais la biomasse ne présente qu’une mesure de la quantité de tissus vivant à un instant donné : elle ne reflète pas la notion de production de biomasse, autrement dit la capacité de régénération de la biomasse d’une communauté de poissons coralliens. Elle est pourtant essentielle à mesurer puisqu’elle détermine la capacité d’un écosystème à se régénérer une fois des mesures de protection prises, comme la création d’aires marines protégées. Elle aide également à une gestion durable des récifs coralliens puisque connaître les processus de renouvellement de biomasse peut permettre d’adapter l’effort de pêche. Hors, pour des raisons de manque de données notamment, ce renouvellement n’a que très peu été considéré sur les récifs coralliens pour le moment.
En utilisant un jeu de données global de suivi visuel en plongée des récifs coralliens, des scientifiques ont prédit la croissance de plus de 4 millions d’individus de 1400 espèces, à laquelle ils ont ajouté la mortalité naturelle pour ensuite calculer la production et le renouvellement de biomasse sur plus de 1900 récifs coralliens. Il devient donc possible d’estimer, à partir de la croissance projetée des poissons, la quantité de biomasse qu’un récif corallien peut produire sur une échelle de temps donnée.
Sur la base de cette capacité de renouvellement de biomasse, les auteurs ont proposé un cadre conceptuel permettant de catégoriser les récifs en fonction de leur biomasse, et de leur renouvellement en biomasse: certains récifs peuvent avoir une biomasse très élevée mais un renouvellement très bas, d’autres ont un taux de renouvellement très élevé mais une biomasse très faible, ou encore un renouvellement faible et une biomasse faible.
Ils ont ensuite modélisé ces catégories en fonction de leur exposition aux pressions anthropiques, au contexte socio-économique et aux conditions environnementales. Les résultats montrent que le renouvellement de la biomasse sur les récifs coralliens n’est pas influencé de la même manière que la biomasse aux pressions anthropiques, comme la pêche, et au contexte socio-environnemental. Par exemple, les sites à forte biomasse sont situés dans des zones à faible pression humaine, alors que les sites à fort taux de renouvellement sont situés dans des zones à forte pression humaine.
Ces récifs diffèrent aussi en termes de composition d’espèces : les récifs à forte biomasse sont souvent riches en prédateurs, comme des mérous qui ont une croissance lente, et ceux à fort taux de renouvellement riches en herbivores, comme des poissons chirurgiens ou poissons lapins qui ont une croissance rapide. La pression de pêche, en diminuant la taille globale des poissons et en diminuant la biomasse en prédateurs, augmente temporairement le taux de renouvellement en biomasse à travers une dominance de poissons à croissance rapide de plus petite taille, comme des herbivores. Mais, en présence d’une pression de pêche trop élevée, le renouvellement et la biomasse s'effondrent, comme le montre les sites à faible biomasse et renouvellement situés dans des zones à forte pression humaine.
Ces résultats peuvent guider les politiques de gestion des récifs coralliens: les sites à forte biomasse devraient être strictement protégés lorsque le contexte social le permet, étant donné leur importance en tant que derniers récifs abritant des biomasses élevées. Les sites à fort taux de renouvellement pourraient être mis sous protection partielle, ce qui signifie par exemple l'interdiction de certaines pratiques de pêche destructrices, l'interdiction des flottes de pêche industrielle tout en autorisant les pratiques de pêche traditionnelles qui assurent la subsistance des populations locales à travers un fort renouvellement en biomasse. Ces résultats restent conceptuels et devront être adaptés au contexte local, mais c’est un premier pas dans l’intégration des métriques de stock - la biomasse - et de flux - la production et le renouvellement de biomasse- dans les politiques de conservation et de gestion des récifs coralliens.
Laboratoires CNRS impliqués
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Biodiversité Marine, Exploitation et Conservation (MARBEC - Univ Montpellier / CNRS / IFREMER / IRD)
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Ecologie marine tropicale des Océans Pacifique et Indien (ENTROPIE - IRD / UR / UNC / CNRS / IFREMER)
Objectifs de développement durable
- ODD 14 - Vie aquatique
En proposant un cadre tenant compte de la biomasse mais aussi de la capacité de renouvellement des communautés de poissons, nos travaux s’insèrent dans l’ODD 14 Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable. Il permettra de guider et d’optimiser les décisions de gestions en tenant compte à la fois de la dynamique de l’écosystème et du contexte socio-économique environnant.
Référence
“Towards process-oriented management of tropical reefs in the Anthropocene”, Raphael Seguin, David Mouillot, Joshua E. Cinner, Rick D. Stuart Smith, Eva Maire, Nicholas A. J. Graham, Matthew McLean, Laurent Vigliola and Nicolas Loiseau, Nature Sustainability. 2022. DOI: 10.1038/s41893-022-00981-x