Mesurer l’effet de la captivité et de la domestication sur la morphologie osseuse des sangliers
La croissance en captivité d’un mammifère sauvage peut-elle laisser une empreinte dans la structure des os des membres et du crâne ? Une équipe interdisciplinaire, dont des scientifiques issus des laboratoires Archéozoologie, Archéobotanique : Sociétés, pratiques et environnements (AASPE – CNRS / MNHN), Mécanismes adaptatifs et évolution (MECADEV - CNRS/MNHN), De la Préhistoire à l'actuel : culture, environnement et anthropologie (PACEA – CNRS / Université de Bordeaux / Ministère de la Culture) et de l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (ISYEB - CNRS/MNHN/Sorbonne Université/EPHE), a tenté de répondre à cette question à l’aide d’une expérimentation de confinement chez le sanglier à la réserve de la Haute Touche (MNHN). Les résultats parus respectivement dans les revues Scientific Reports et Evolutionary Biology indiquent que les sangliers confinés, subissant une modification de leur activité musculaire, présentent une topographie corticale et une morphologie crânienne distincte de celles des sangliers vivants dans leur milieu naturel. Ces résultats apportent de nouvelles perspectives méthodologiques d’identification des processus de domestication des animaux jusqu’ici imperceptibles par les archéozoologues. Ils indiquent également que la réduction de mobilité d’un mammifère au cours de sa croissance entraine des changements importants de sa morphologie osseuse.
La croissance en captivité d’un mammifère sauvage peut-elle laisser une empreinte dans la structure des os des membres et du crâne ? Comment cette empreinte se distingue-t-elle de la reproduction sélective associée à l’élevage au cours des deux-cents dernières années ? Répondre à ces questions pourrait permettre la définition de nouveaux marqueurs morphologiques permettant la détermination des processus de domestication animale dans le registre archéologique, jusqu’alors inaccessibles aux archéozoologues, et de repousser ainsi les limites temporelles des premières domestications animales.
Afin de répondre à ces questions, une équipe de recherche pluridisciplinaire impliquant des chercheuses et chercheurs issus des laboratoires Archéozoologie, Archéobotanique : Sociétés, pratiques et environnements (AASPE – CNRS / MNHN), Mécanismes adaptatifs et évolution (MECADEV - CNRS/MNHN), De la Préhistoire à l'actuel : culture, environnement et anthropologie (PACEA – CNRS / Université de Bordeaux / Ministère de la Culture) et de l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (ISYEB - CNRS/MNHN/Sorbonne Université/EPHE) et dirigée par Thomas Cucchi (AASPE), a réalisé une expérimentation sur le sanglier à la Réserve de la Haute Touche, où des marcassins capturés à l’âge de 6 mois ont été élevés en captivité jusqu’à l’âge de 2 ans. Les scientifiques ont comparé la topographie de l’épaisseur corticale de la diaphyse de l’humérus (Figure 1) et la morphologie du crâne (Figure 2) chez les sangliers captifs et chez des sangliers chassés issus des mêmes populations mais élevés en milieu naturel. Les sangliers captifs ont également été comparés à des cochons domestiques issus de races d’élevage traditionnel et industriel.
Les os se remodèlent de manière continue au cours de la vie d’un mammifère en fonction de son activité musculaire et des contraintes mécaniques de son environnement. Les chercheurs ont donc supposé que les sangliers captifs, ne pouvant exprimer l’ensemble du répertoire locomoteurs et masticateurs des sangliers dans leur milieu naturel, devaient posséder une épaisseur corticale de l’humérus réduite et une morphologie du crâne moins robuste associées à une force musculaire plus faible par rapport aux sangliers chassés. Ces caractéristiques devaient être aussi différentes de celles observées chez les cochons domestiques, dont la sélection pour une production rapide et importante de muscles a entrainé des changements morphologiques majeurs.
Les résultats montrent que, contrairement à l’hypothèse de départ, les sangliers captifs ont une épaisseur corticale, une robustesse du crâne et une force musculaire plus importantes que celles des sangliers chassés. Les chercheurs l’expliquent par le gain de poids des sangliers nourris en captivité, ainsi que par leur activité musculaire locomotrice et masticatoire stéréotypée (répétitive et souvent pathologique) qui a pu accroitre la production de muscles de type II dont les fibres constituent la majorité de la force musculaire.
Ces études montrent également que l’empreinte de l’activité musculaire sur l’épaisseur corticale et la morphologie du crâne des sangliers captifs se distingue clairement de celle des cochons domestiques issus de l’élevage traditionnel et industriel. Ces résultats apportent la preuve qu’un changement de mode de vie induit par la captivité entraine des changements quantifiables de la structure interne et externe du squelette d’un mammifère sauvage, offrant ainsi de nouvelles perspectives méthodologiques pour l’étude des processus de domestication en archéologie.
Références
Investigating the impact of captivity and domestication on limb bone cortical morphology: an experimental approach using a wild boar model. Hugo Harbers, Clement Zanolli, Marine Cazenave, Jean‑Christophe Theil, Katia Ortiz, Barbara Blanc, Yann Locatelli, Renate Schafberg, François Lecompte, Isabelle Baly, Flavie Laurens, Cécile Callou, Anthony Herrel, Laurent Puymerail, Thomas Cucchi. Investigating the impact of captivity and domestication on limb bone cortical morphology: an experimental approach using a wild boar model. Scientific Reports, 4 novembre 2020.
How changes in functional demands associated with captivity affect the skull shape of a wild boar (Sus scrofa), Dimitri Neaux, Barbara Blanc, Katia Ortiz, Yann Locatelli, Flavie Laurens, Isabelle Baly, Cécile Callou, François Lecompte, Raphaël Cornette, Gabriele Sansalone, Ashleigh Haruda, Renate Schafberg, Jean-Denis Vigne, Vincent Debat, Anthony Herrel, Thomas Cucchi. Evolutionary Biology, 10 novembre 2020.