L’interaction entre humain et mégafaune au Pléistocène reconsidérée par l’imagerie de pendentifs du Mato Grosso (Brésil)
Le peuplement des Amériques fait aujourd’hui encore l’objet de scénarios contradictoires. La datation du site de Santa Elina (Mato Grosso, Brésil), couplée à une étude tracéologique de restes archéologiques, apporte un éclairage nouveau. L’utilisation de techniques d’imagerie et sur synchrotron confirme que trois ostéodermes du paresseux terrestre géant Glossotherium phoenesis, aujourd’hui disparu, ont été intentionnellement modifiés en artefacts par des êtres humains. La contemporanéité de la couche la plus ancienne (datant de plus de 25 000 ans) avec ces objets repousse l'occupation humaine du Brésil au Pléistocène. Les travaux, publiés dans Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, soulèvent la question de l’interaction entre humains et mégafaune, et l’impact de ces populations anciennes dans la disparition de cette dernière.
L'abri sous roche de Santa Elina (Mato Grosso, Brésil), présente des traces successives d’occupation humaine depuis le dernier maximum glaciaire (LGM) jusqu'au début de l'Holocène. Deux couches archéologiques du Pléistocène contiennent les restes d’une riche industrie lithique associée à des restes du paresseux terrestre géant Glossotherium phoenesis, espèce aujourd'hui disparue. Quatre mille ostéodermes (éléments osseux fichés dans la peau de l’animal et jouant un rôle dans sa régulation thermique) ont été collectées entre 1984 et 2005 sur une surface de 15 m2 lors des fouilles menées par Agueda Vihena Vialou dans le cadre d'une coopération entre le Muséum National d'Histoire Naturelle (Préhistoire) et l’Université de São Paulo (Museu de Arqueologia e Etnologia). Deux spécimens de Glossotherium ont également été mis au jour, l’un dans une couche datée de 12 000 ans, et l’autre dans la strate l plus ancienne, datée de plus de 25 000 ans. C’est dans cette dernière que trois ostéodermes montrant des perforations, ont attiré l’attention des archéologues Agueda Vihena Vialou et Denis Vialou qui émirent l’hypothèse d’une utilisation en parure ou pendentifs.
Les travaux poursuivis dans le cadre d’une collaboration impliquant le séjour d’une doctorante brésilienne pendant près d’un an à Paris-Saclay et publiés dans Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences visent à mieux caractériser l’ensemble des marques à la surface de trois ostéodermes en utilisant des techniques d’imageries photoniques encore peu utilisées pour ce type d’application, pour mettre au point un nouveau type d’analyse tracéologique quantitative reposant sur la microtomographie synchrotron aux rayons X et l’imagerie plein champ de photoluminescence. Les marques à la surface des ostéodermes, notamment celles, difficilement observables à proximité des perforations, ont été étudiées à partir de reconstructions 3D générées par microtomographie synchrotron à rayons X sur la source européenne ESRF de Grenoble, outrepassant les limites de la profilométrie de surface classique. Ces reconstructions virtuelles ont notamment permis de caractériser des marques d'usure concaves, qui ont été attribuées au frottement avec un système d’attache, comme une cordelette.
L'imagerie spectrale UV/visible plein champ de photoluminescence, rarement employée sur les os archéologiques, a permis d’appréhender la chimie de surface des artefacts. Les zones perforées des spécimens fossiles présentent très peu de contraste avec le reste de la surface polie. En revanche, un contraste très important est observé entre la surface et les zones mises à nu lorsque l’on perfore des ostéodermes au laboratoire. La patine homogène des échantillons archéologiques est donc compatible avec l'hypothèse selon laquelle les modifications anthropiques ont été faites avant la fossilisation des ostéodermes.
Ces travaux soulignent l’importance de sites comme Santa Elina et l’intérêt de revisiter du matériel très ancien avec de nouvelles approches d’imagerie 2D et 3D sensible à l’évolution physico-chimique et morphologique des matériaux anciens à petite échelle. De telles données sont fondamentales pour mieux comprendre l’évolution des migrations des populations humaines et leur interaction avec leur milieu et leur écosystème.
Laboratoires CNRS impliqués
- Photophysique et photochimie supramoléculaires et macromoléculaires (PPSM – CNRS, ENS Paris-Saclay)
- Institut photonique d’analyse non-destructive européen des matériaux anciens (IPANEMA – CNRS, UVSQ, MNHN, Ministère de la Culture)
- Laboratoire de mécanique Paris-Saclay (LMPS – CNRS, ENS Paris-Saclay, CentraleSupélec)
- Histoire naturelle de l'Homme préhistorique (HNHP – CNRS, MNHN, Université de Perpignan via Domitia)
Référence
Pansani T. R., Pobiner B., Gueriau P., Thoury M., Tafforeau P., Baranger E., Vialou A. V., Vialou D., McSparron C., de Castro M. C., Dantas M. A. T., Bertrand L. et Pacheco M. L. A. F. Evidence of artefacts made of giant sloth bones in central Brazil around the last glacial maximum. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, publié le 12 juillet 2023.