L’IA au service du suivi automatique de la faune sauvage !

Résultats scientifiques

Les paramètres démographiques de populations sauvages suivies par la technologie d'identification par radiofréquence (RFID) peuvent désormais être déterminés automatiquement par les méthodes d'intelligence artificielle (IA). Au travers d’un réseau dense de collaborations rassemblant 8 pays, des chercheurs du CNRS et du Centre Scientifique de Monaco (CSM) ont mis au point une nouvelle application de l'apprentissage profond “RFIDeep” pour déterminer automatiquement les paramètres classiques de reproduction et de survie de plus de 20 000 manchots marqués et suivis électroniquement depuis près de 25 ans.

En résumé

  • L'identification par radiofréquence (RFID) est une technologie fréquemment utilisée pour enregistrer les passages et/ou la présence des individus suivis parmi de nombreuses espèces dans le monde, dans les écosystèmes terrestres et aquatiques.
  • Une équipe de recherche internationale a développé un outil basé sur l'apprentissage profond (RFIDeep) pour analyser automatiquement et en temps quasi réel de vastes jeux de données RFID. Leur traitement permet de gérer et de sécuriser les séries temporelles biologiques à long terme, ainsi que d'optimiser leur utilisation et réutilisation.
  • Cette technologie permet de limiter les interactions avec les animaux et la présence des scientifiques sur le terrain, ce qui signifie moins de perturbations des populations étudiées, des coûts moindres et un suivi de meilleure qualité.

 

Le suivi automatique de la faune sauvage est devenu un outil essentiel en écologie. En particulier, l'identification par radiofréquence (RFID) est désormais une technologie très répandue pour estimer les paramètres phénologiques, de reproduction et de survie de nombreuses espèces. Cependant, alors que la RFID produit de vastes jeux de données, aucune méthode permettant un traitement fiable et rapide de cette masse de données n'était encore disponible à ce jour. Dans ce contexte, les approches d'apprentissage profond, utilisées pour résoudre des problèmes similaires dans d'autres domaines scientifiques, pourraient nous aider à surmonter ces défis analytiques pour valoriser tout le potentiel des suivis par RFID.

Cette étude publiée dans Methods in Ecology and Evolution propose un flux de travail d'apprentissage profond, nommé “RFIDeep”, visant à estimer des caractéristiques écologiques individuelles, telles que le statut et le succès reproducteur, à partir de données de marquage-recapture RFID. Pour démontrer les performances de RFIDeep sur des jeux de données massifs et complexes, les chercheuses et les chercheurs ont utilisé des suivis électroniques et automatiques à long terme de populations de manchots. Ces oiseaux marins longévifs se reproduisent en colonies denses, et réalisent de nombreux allers-retours entre leurs sites de reproduction à terre et leurs sites d'alimentation en mer.

Pour déterminer le statut reproducteur et la phénologie des individus marqués électroniquement, pour chaque saison de reproduction, les chercheurs ont développé une architecture de réseau neuronal convolutif unidimensionnel (1D-CNN). Ensuite, pour tenir compte de la variabilité phénologique et des limites techniques de l'acquisition de données sur le terrain, une étape d'augmentation de données imitant un décalage des dates de reproduction et simulant des détections RFID manquantes (un problème courant avec les systèmes basés sur la RFID) a été effectuée. Enfin, pour identifier les phases de la reproduction utilisées lors de la classification, un outil de visualisation a été mis en place pour permettre aux utilisateurs de se familiariser et de comprendre ce qui est généralement considéré comme une “boîte noire” en apprentissage profond. Ces trois étapes ont permis de déterminer avec une grande précision les paramètres clés de reproduction de plus de 20 000 manchots royaux (Aptenodytes patagonicus) et Adélie (Pygoscelis adeliae) suivis électroniquement depuis près de 25 ans dans les régions subantarctiques et antarctiques (Crozet et Terre Adélie, Terres Australes et Antarctiques Françaises) dans le cadre du projet 137 de l'Institut polaire français Paul-Emile Victor (IPEV).

Ainsi, RFIDeep met en évidence le potentiel de l’IA pour suivre les changements qui s'opèrent au sein des populations animales, décuplant les avantages des suivis automatiques par marquage-recapture des populations sauvages non perturbées. RFIDeep est un code source ouvert, ce qui facilite l'utilisation, l'adaptation et le perfectionnement des données RFID pour une grande variété d'espèces. Outre un gain de temps considérable pour l'analyse de ces jeux de données volumineux, cette étude démontre la capacité des modèles CNN à détecter, de manière autonome, des motifs pertinents d’un point de vue écologique au sein de données d’identification, grâce à des techniques de visualisation qui sont rarement utilisées en écologie.

En plus de fournir des données fondamentales précieuses sur l'écologie et les tendances des populations, le traitement automatisé et standardisé de ces données massives, et leur intégration en continu et en temps quasi réel, permettent de gérer et de sécuriser les séries temporelles biologiques à long terme, ainsi que d'optimiser leur utilisation et réutilisation, ce qui est essentiel pour répondre aux principes FAIR (données facilement accessibles, comprises, échangeables et réutilisables). Ces informations, en temps quasi réel, sur l’état de santé (en termes de survie et reproduction) de ces espèces bioindicatrices de leurs écosystèmes que sont les manchots, sont aussi capitales afin d’alerter nos gouvernements, et de mettre en œuvre rapidement des mesures de conservation efficaces.

visuel colonie manchots
Figure : Colonies de manchots royaux (Aptenodytes patagonicus) de plusieurs dizaines de milliers de couples reproducteurs (Archipels de Crozet et de Kerguelen, Terres Australes et Antarctiques Françaises) © Gaël Bardon (IPEV / CNRS / CSM).

 

Pour en savoir plus

Un article du quotidien de l'Université de Strasbourg ici.

Référence

Bardon, G., Cristofari, R., Winterl, A., Barracho, T., Benoiste, M., Ceresa, C., Chatelain, N., Courtecuisse, J., Fernandes, F. A. N., Gauthier‐Clerc, M., Gendner, J., Handrich, Y., Houstin, A., Krellenstein, A., Lecomte, N., Salmon, C., Trucchi, E., Vallas, B., Wong, E. M., Bohec, C. L. RFIDEEP : Unfolding the Potential of Deep Learning for Radio‐frequency identification. Methods in Ecology and Evolution, publié le 22/08/23.

Laboratoires CNRS impliqués

  • Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC - CNRS/Univ. Strasbourg)
  • Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE - CNRS/EPHE-PSL/IRD/Univ. Montpellier)

Objectifs de développement durable

ODD

  • Objectif 13 : Prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions
  • Objectif 14 : Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable
  • Objectif 15 : Préserver et restaurer les écosystèmes terrestres

Contact

Céline Le Bohec
Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC-CNRS/Univ Strasbourg)
Gaël Bardon
Doctorant - Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC - CNRS/Univ. Strasbourg)
Nicolas Busser
Correspondant communication - Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC-CNRS/Univ Strasbourg)