L’homme, une espèce cancérigène pour la faune sauvage ?

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Une étude menée en collaboration entre le CNRS, les Etats-Unis (Arizona State University et Louisiana State University) et l’Australie (Deakin University) publiée dans Nature Ecology and Evolution suggère que les activités humaines pourraient conduire à une augmentation des taux de cancer dans la faune sauvage. Ainsi, l’espèce humaine pourrait être définie comme une espèce cancérigène avec des conséquences majeures sur le fonctionnement des écosystèmes.

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Beluga - Aquarium d'Atlanta. Crédits photo : Greg Hume

Le lien entre pollution et taux de cancer est désormais largement établi chez l’homme, mais est-ce que les espèces sauvages développent également des cancers avec des prévalences plus élevées dans des habitats impactés par les activités humaines ? Une étude publiée dans Nature Ecology and Evolutionsuggère que les mêmes mécanismes physiologiques (modifications de secrétions hormonales, du taux de mutation de l’ADN ou de l’activité du système immunitaire) connus pour stimuler la progression tumorale chez l’homme, pourraient être impactés par une exposition aux polluants chez la plupart des espèces sauvages.

 

De précédents travaux ont montré que le cancer a été détecté chez toutes les espèces chez lesquelles il a été recherché et que certaines espèces développent des taux extrêmement élevés de cancer en milieux pollués. Ainsi, des prévalences pouvant atteindre 27 % ont été mesurées dans une population de beluga dans l’estuaire du Saint Laurent au Canada (un milieu pollué par l’industrie métallurgique), empêchant potentiellement cette population de récupérer après une forte baisse due à des pressions de chasse trop élevées.

 

La présente étude propose aussi d’autres processus par lesquels l’homme pourrait influencer les taux de cancer dans la faune sauvage. Par exemple, la pollution par la lumière artificielle nocturne et son impact sur le sommeil et les sécrétions hormonales, notamment de mélatonine (une hormone avec des propriétés anti-tumorales), est connue pour influencer les taux de cancer chez l’homme et les modèles de laboratoire, et pourrait donc également avoir les mêmes effets sur le terrain. De la même manière, la nourriture accessible aux animaux sauvages en milieux urbains (mangeoires, déchets) ne correspond pas aux besoins de ceux-ci et sa consommation entraine des carences en micronutriments et des modifications du microbiome. De plus, la nourriture fournie aux animaux sauvages, et notamment aux charognards avec des carcasses de bétail, contient dans certains cas des composés aux propriétés cancérigènes. Par exemple, des résidus d’antibiotiques aux propriétés cancérigènes ont été détectés chez 92 % des vautours fauves testés.

 

Les processus oncogéniques, en tant que source (directe ou indirecte) de mortalité, représentent donc un enjeu majeur en termes de conservation qui est à l’heure actuelle trop ignoré. La morbidité liée au cancer a explosé durant les dernières années dans certaines communautés exposées à des pollutions intenses comme à Tchernobyl et l’augmentation récente et généralisée de la pollution cancérigène pourrait exposer de nombreuses espèces sauvages à des doses moins fortes de polluants mais suffisantes pour stimuler le développement de processus oncogéniques et perturber le fonctionnement de certaines communautés et écosystèmes. Par exemple, il est prédit que 99 % des espèces d’oiseaux marins (et 95 % des individus de chaque espèce) auront ingéré des micro-plastiques d’ici à 2050. Or, on sait que ces micro-plastiques relâchent une multitude de composés chimiques dont certains, tel que le bisphénol A, ont des effets cancérigènes chez l’homme ou les espèces modèles de laboratoire. Il est donc désormais crucial de développer des programmes de suivi des populations à risque en termes de statut de conservation ou d’exposition aux agents cancérigènes afin de détecter précocement de potentielles épizooties de cancer et de mettre en place des politiques environnementales adaptées.

 

Référence :

Human activities might influence oncogenic processes in wild animal populations. Mathieu Giraudeau, Tuul Sepp, Beata Ujvari, Paul Ewald et Fréderic Thomas publie dans Nature Ecology and Evolution.

Contacts chercheurs

Mathieu Giraudeau
Arizona State University (USA) et M.I.V.E.G.E.C  (IRD / CNRS / Université de Montpellier)
giraudeau.mathieu@gmail.com

 

Fréderic THOMAS
M.I.V.E.G.E.C  (IRD / CNRS / Université de Montpellier)
frederic.thomas2@ird.fr