L’étude des groupes sanguins des premiers Homo sapiens éclaire leur arrivée en Eurasie

Résultats scientifiques

Une étude du laboratoire Anthropologie bio-culturelle, droit, éthique et santé (ADES - CNRS/Aix-Marseille Université/EFS) publiée dans la revue Scientific Reports révèle que les premiers Homo sapiens d’Eurasie ont acquis une nouvelle palette de groupes sanguins juste après leur sortie d'Afrique, contrastant avec celle des Néandertaliens. Ce travail éclaire aussi l'origine de certains groupes sanguins rares et cruciaux tels que ceux du système "Rhesus". 

En résumé

  • Les groupes sanguins de 14 Néandertaliens et 22 Homo sapiens vieux de 20 000 à 120 000 ans ont été reconstitués par une équipe française composée d’un généticien des populations, d’hématologues et d’une paléoanthropologue.

  • Cette étude fournit de nouveaux éléments sur la conquête de l’Eurasie par Homo sapiens il y a plus de 45 000 ans.

  • Elle dévoile aussi l’origine de certains groupes sanguins cruciaux en transfusion et le suivi de la femme enceinte.

Il y a plus de 45 000 ans, les premiers Homo sapiens ont conquis l’Eurasie, où vivaient encore les populations archaïques de Néandertal et Denisova, jusqu’à leur extinction il y a environ 40 000 ans. Bien que la découverte des restes de ces premiers Homo sapiens ait fourni à la communauté scientifique des génomes de qualité, leurs systèmes de groupes sanguins n’avaient encore jamais été étudiés. 

Une équipe pluridisciplinaire du laboratoire Anthropologie bio-culturelle, droit, éthique et santé (ADES - CNRS/Aix-Marseille Université/EFS), en examinant les génomes anciens disponibles, a pu déterminer leur profil génétique pour dix familles de groupes sanguins différentes, telles que ABO et RH, communément appelées « Rhésus ».

Ces chercheurs montrent qu’Homo sapiens a connu une diversification génétique intense après sa sortie d'Afrique il y a 60 000 ans, probablement au Moyen-Orient, avec une palette de groupes sanguins totalement nouvelle. Certains de ces groupes sanguins sont aujourd’hui exclusivement répandus en dehors de l’Afrique et sont portés par près de 40% des personnes en Eurasie. 

Le plateau Perse, connu pour être le creuset de certaines lignées génétiques et de nombreuses cultures matérielles archéologiques d’Eurasie, aurait joué un rôle crucial comme « incubateur » de ces nouveaux groupes sanguins. Cette transformation rapide et profonde du patrimoine sanguin humain témoigne de l'extraordinaire adaptabilité de notre espèce face aux nouveaux environnements rencontrés lors de son expansion à travers le monde.

Ce travail suggère également que le peuplement de l'Eurasie par Homo sapiens est loin d’avoir été un processus linéaire et continu, mais plutôt une série de vagues de colonisation entrecoupées d'extinctions locales, de remplacements et « d’impasses évolutives ». En particulier, l'individu sibérien de Ust'-Ishim, daté d'environ 45 000 ans, possède des groupes sanguins uniques qu’on ne retrouve ni chez les populations européennes préhistoriques plus récentes, ni chez celles d’aujourd’hui. Ce modèle de « stop-and-go » démographique met en lumière la vulnérabilité des premières populations humaines face aux nouveaux milieux parcourus, mais aussi la complexité de notre histoire évolutive en Eurasie. Cette étude confirme celles publiées en 2024 dans les revues Science (Iasi et al.) et Nature (Sümer et al.).

En outre, elle démontre que les Néandertaliens ont conservé des groupes sanguins ancestraux pendant 80 000 ans, comme les gardiens d'un héritage sanguin unique, figé dans le temps. Ceux-ci se caractérisent notamment par un groupe sanguin « Rhésus » unique, aujourd’hui retrouvé en Océanie, grâce auquel les auteurs ont pu mettre à jour le schéma évolutif. Ils révèlent ainsi que le gène de ce « Rhésus » rare s’est incrusté dans le génome des Homo sapiens par métissage, au sortir de l’Afrique, qui ont ensuite choisi la route côtière sud vers l’Océanie. 

Plus important encore, la détermination du « Rhésus » néandertalien éclaire l'origine de certaines formes de groupes sanguins rares que l’on peut rencontrer de nos jours lors de transfusions sanguines et de grossesses et qui peuvent s’avérer létales si elles ne sont pas surveillées. C’est le cas des variants partiels du système "Rhésus", dont le profil néandertalien fait partie. 

 

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Modèle de peuplement de l’Eurasie par Homo sapiens, vu par les groupes sanguins. Neandertal et Homo sapiens ont des groupes sanguins distincts. 
Après sa sortie d’Afrique il y a 70 à 60000 ans,  Homo sapiens s’installe sur le Plateau Perse où il connait une phase de maturation génétique. Probablement à la même période et au Proche orient où Neandertal est présent, des sapiens rencontrent Neandertal et incorporent une partie de leur ADN, dont un des gènes du Rhésus. Les sapiens du Plateau Perse se répandent en Eurasie avec de nouveaux groupes sanguins alors que ceux du Moyen Orient progressent vers le Sud de l’Asie, diffusant le Rhésus Neandertalien en Océanie. © Stéphane Mazières

Référence de la publication

Mazières S, Condemi S, El Nemer W, Chiaroni. Rapid change in red cell blood group systems after the main Out of Africa of Homo sapiens. Scientifc Reports. Publié en janvier 2025. 

Laboratoires CNRS impliqués 

  • Anthropologie Biologique, Droit, Ethique et Santé (ADES – CNRS / Aix Marseille université, Établissement Français du Sang)

Contact

Stéphane Mazières
Anthropologie bio-culturelle, droit, éthique et santé (UMR7268 ADES, Aix Marseille Université, CNRS, Etablissement Français du Sang PACA Corse)
Maud Bergeon
Correspondant communication - ADES (UMR7268, Aix Marseille Université, CNRS, Etablissement Français du Sang PACA Corse)