Les sciences de l’écologie et de l’environnement innovent aussi !
Le 26 septembre prochain paraîtra « Explorer l’environnement - Des solutions pour innover » à CNRS Éditions, ouvrage collectif coordonné par CNRS Écologie & Environnement. À travers une sélection de 58 exemples d’innovations sur des sujets variés et à diverses échelles, il illustre comment des résultats de recherche peuvent être directement valorisés pour la société. Cet entretien avec Éric Fouilland, délégué scientifique à la valorisation à CNRS Écologie & Environnement et directeur de recherche CNRS1 , qui a co-dirigé l’écriture du livre, nous en livre quelques détails.
- 1au sein de l’unité de recherche « Biodiversité Marine, Exploitation et Conservation » (MARBEC)
Tout d’abord, qu’est-ce que l’innovation ? — L’innovation est définie de manière générale comme la conception de nouveaux produits, services ou procédés, souvent technologiques, qui contribuent à améliorer l’existant. Elle représente l’un des volets de la valorisation des recherches, c’est-à-dire le transfert des activités de recherche vers le monde extérieur, en dehors du laboratoire, à destination de publics pouvant être très divers (académiques, industriels, politiques, associations, grand public).
Quelle est la particularité de l’innovation en écologie et en sciences de l’environnement ? — Elle prend un sens beaucoup plus large que celui présent dans l’imaginaire collectif, focalisé sur des innovations technologiques à destination d’industriels. Dans ces disciplines, on parle aussi d’innovations sociétales, dans la gouvernance et dans les usages. C’est pour cela que l’on peut innover quel que soit le domaine de l’écologie et des sciences de l’environnement. C’est vraiment une vision plus large, où grâce à l’observation des interactions entre le monde vivant, incluant les humains, et l’environnement, nous sommes en capacité d’innover et de proposer des réponses aux enjeux sociétaux et environnementaux actuels.
À quoi cela sert-il concrètement d’innover dans ces domaines ? — Historiquement, en écologie et en sciences de l’environnement, les chercheurs ont toujours été des lanceurs d’alerte dénonçant les impacts des activités anthropiques sur l’environnement et la société. Mais forts de leur connaissance fine du fonctionnement des écosystèmes, ils sont de plus en plus amenés à proposer des alternatives permettant de répondre aux défis actuels tels que la réduction de nos impacts, ou encore la transformation de nos pratiques et nos usages pour préserver la santé de l’environnement et la santé humaine. Cela peut se traduire, par exemple, par la création d’aires marines protégées, ou des systèmes d’élevage productifs mais plus durables et plus respectueux du bien-être animal.
À qui profitent ces innovations en écologie et sciences de l’environnement ? — Comme évoqué, à la société et à l’environnement. Plus précisément, les innovations peuvent passer d’abord par des intermédiaires de terrain comme les bureaux d’étude ou les sociétés de conseil, qui sont souvent sollicités pour mettre en pratique ce qui est proposé par la recherche. Mais ensuite les utilisateurs peuvent être, entre autres, les collectivités, les associations, les agences de gestion de l’environnement, les entreprises privées, ou les enseignants avec des jeux éducatifs par exemple. Étant donné qu’il ne s’agit pas uniquement d’innovations technologiques, ces innovations peuvent être profitables à un très large public.
Comment est venue l’idée d’un livre sur les innovations dans ces domaines ? — En 2017, lors d’un atelier sur la valorisation regroupant une quarantaine d’académiques à l’occasion des Prospectives du CNRS Écologie & Environnement à Bordeaux, il est apparu que les innovations en écologie avaient peu de visibilité. Suite à ce constat, des recommandations ont été formulées dans le cadre du réseau thématique pluridisciplinaire INNOVAEE et après échange avec la direction de CNRS Écologie & Environnement est né le projet d’un ouvrage collectif. L’objectif était de montrer des applications concrètes qui soient compréhensibles par le plus grand nombre, en partant de la science : c’est explorer pour innover. Mais l’idée était aussi de montrer le processus, la « mécanique » de la recherche, comment une question scientifique amène à des expérimentations, puis à des résultats, qui peuvent alors être utilisés en dehors du monde académique.
Quelles formes prennent les innovations en écologie et en sciences de l’environnement présentées dans le livre ? — Elles sont très variées : des produits, des technologies, des procédés, des jeux, des guides de pratiques, des connaissances ou encore des outils de co-construction et de prise de décision. Cela peut également aller jusqu’à des réglementations, comme par exemple la recommandation de mise en place de haies dans les parcelles agricoles traitées par des pesticides, haies qui favorisent la biodiversité et réduisent l’impact de l’utilisation produits chimiques sur la faune qui n’est pas ciblée.
Que retenez-vous de cet ouvrage et des innovations présentées ? — Je le vois comme un objet très positif : ce sont des solutions pour répondre de manière concrète à des enjeux actuels. Car s’il est essentiel de montrer les impacts, comme le font par exemple nos collègues contribuant au GIEC2 et à l'IPBES3 , il est aussi important de proposer des alternatives les plus durables possibles. Je trouve également qu’il représente bien CNRS Écologie & Environnement dans sa diversité et sa pluridisciplinarité.
Pour en savoir plus
Cliquez ici pour davantage d’informations sur l’ouvrage « Explorer l’environnement - Des solutions pour innover »
Focus sur 4 innovations détaillées dans l'ouvrage :
Des crèmes solaires à partir d’algues
Pour se protéger du soleil auquel elles sont exposées à marée basse, les macroalgues brunes produisent des molécules qui absorbent les ultraviolets : les phlorotannins. Inspirées par ces photoprotecteurs, Valérie Stiger et Solène Connan, en partenariat académique et industriel, les ont testés en tant qu’ingrédients actifs d’un nouveau type de crèmes solaires. Les résultats sont prometteurs : un fort indice SPF, mais également des propriétés antioxydantes et antimicrobiennes. Un brevet a été approuvé et l’innovation transférée à la filière industrielle/cosmétique.
Les refuges de biodiversité urbaine vus du ciel
En ville, les habitats naturels se réduisent et se fragmentent, ce qui pose de nombreux défis aux espèces qui les occupent. Préserver la biodiversité nécessite donc une analyse fine des connexions entre ces espaces. Elie Morin et Nicolas Bech ont développé une méthode innovante pour prendre de la hauteur ! Grâce à des images aériennes et à l'intelligence artificielle, ils cartographient avec précision les habitats et leurs connexions, du carré d'herbe à la cime des arbres. Un outil précieux pour l’aménagement urbain, qui a mené à la création de la startup PICTAMAP.
Un compostage « froid » inspiré de la décomposition dans les sols forestiers
La méthode de compostage la plus répandue s’appuie sur une décomposition microbienne des biodéchets qui les fait chauffer jusqu’à 70°C. Mais face aux nuisances (odeurs, animaux indésirables) engendrées par ce type de compostage lorsqu’il est mal maîtrisé, Sébastien Moreau, David Violleau et Maxime Cornillon ont mis au point une méthode de compostage froid. Il s’agit d’imiter dans le bac à compost la décomposition qui a lieu dans les différentes couches de sol des hêtraies. Le système Compostou© a été breveté et il est commercialisé par l’association Zéro Déchet Touraine.
Des haies pour limiter les effets des pesticides sur la biodiversité
Limiter les conséquences délétères des pesticides utilisés en agriculture s’avère crucial pour préserver la biodiversité. Clémentine Fritsch, Colette Bertrand et Céline Pelosi ont évalué la contamination des sols et de la faune non-cible dans la Zone Atelier Plaine et Val de Sèvre. Si la contamination se révèle omniprésente, des infrastructures agroécologiques (haies, parcelles en agriculture biologique, prairies) peuvent jouer un rôle protecteur. Des recommandations en faveur de ces éléments paysagers ont été transmises aux acteurs du secteur agricole suite à ces résultats.