Les réserves marines : bénéfiques, mais jusqu’à quelle distance ?
Les études concernant les bénéfices des réserves marines se sont focalisées jusqu’à présent sur leur périmètre proche (distances inférieures à 40 km). Une équipe internationale1 impliquant des chercheurs de l’École Pratique des Hautes Études (EPHE), de l’Université de Montpellier et de l’Université de Perpignan, avec le soutien du CNRS, ont montré que les réserves marines auraient le potentiel pour exporter des organismes bien au-delà de 40 km et ainsi connecter entre elles les trois quarts des réserves du réseau global de réserves marines. Cependant un quart des réserves mondiales, souvent les plus grandes (plus de 1 000 km2) et donc les plus efficaces, restent isolées et n’apportent aucune assurance spatiale au réseau. Cet article de synthèse est publié dans la revue Trends in Ecology and Evolution en février 2019
- 1University of Toronto, Canada; Helmholtz Centre for Ocean Research, Germany; Centro Oceanográfico de Baleares, Spain; University of d’Alicante, Spain; University of South Pacific, Fiji; University of Stockholm, Sweden; University of Murcia, Spain; James Cook University, Australia
Les réserves marines ont le potentiel d’exporter des bénéfices bien au-delà de leur proche périmètre
Une réserve marine peut augmenter la biomasse des poissons et invertébrés et maintenir la diversité des espèces et des populations à la fois à l’intérieur de leur périmètre mais aussi à l’extérieur alimentant ainsi les zones de pêche (Figure 1). Ces bénéfices sont possibles à des distances plus ou moins longues, principalement grâce à la dispersion active des adultes (Fig 1-1), ou la dispersion passive des larves et des juvéniles par les courants marins (Fig 1-2). Le transport des organismes peut aussi être facilité par les débris flottants (Fig 1-3) ou des actions de translocation volontaire par l’Homme (Fig 1-4). Mais jusqu’à quelle distance les réserves marines sont-elles capables d’exporter des bénéfices? La distance à laquelle ces bénéfices vont pouvoir s’étendre reste largement méconnue.
Une distance de dispersion probablement sous-estimée
Les chercheurs ont extrait les valeurs de distances de dispersion pour 243 espèces marines (poissons côtiers, invertébrés côtiers, organismes des grands fonds) ainsi que l’étendue spatiale de la zone de prélèvement dans 130 articles publiées. L’étude de ces articles montre que la distance médiane de dispersion, tous organismes confondus, est seulement de 42 km. Cette distance est réduite à 33 km pour les poissons. L’étude montre aussi que les estimations de la distance de dispersion entre les populations marines sont fortement contraintes par l’étendue spatiale de la zone de prélèvement qui est égale à la distance de dispersion dans au moins un tiers des études. La dispersion réelle des organismes pourrait alors être sous-estimée.
Trois quarts des réserves marines au niveau global (Figure 2, petit cercle jaune) sont localisées à moins de 42 km d’une autre réserve et seraient donc potentiellement connectées démographiquement, puisque cette estimation de 42 km est sûrement sous-évaluée.
Les plus grandes réserves seraient les plus isolées
Les chercheurs ont également montré que les plus grandes réserves (plus de 1 000 km²), avec les plus forts bénéfices écologiques, sont les plus isolées dans le réseau global (> 350 km ; Fig. 2 ; large cercle rose à violet). Elles ne peuvent donc pas jouer leur rôle d’assurance spatiale pour contribuer à maintenir les espèces et les populations dans des réserves de plus petites tailles, même en cas de dispersion longue distance.
Et même si on corrigeait les distances entre les réserves par les courants marins, la directrice d’études S. Manel déclare que « parmi les réserves marines du réseau mondial, les plus grandes et donc potentiellement les plus efficaces, sont en fait les plus isolées ». Cette étude révèle qu’il est essentiel d’étendre l’échelle spatiale des études sur la connectivité marine pour déterminer l’étendue réelle des bénéfices. Les études à venir devront intégrer ces valeurs de connectivité dans la planification de l’emplacement des futures réserves marines pour atteindre l’objectif de couverture spatiale de 10 % au niveau global fixé par la Convention pour la Diversité Biologique pour 2020 alors que nous n’en sommes qu’à 7%.
Référence de l’article
Long-distance benefits of marine reserves: myth or reality? Trends in Ecology and Evolution Stéphanie Manel, Nicolas Loiseau, Marco Andrello, Katharina Fietz, Raquel Goñi, Aitor Forcada, Philippe Lenfant, Stuart Kininmonth, Concepción Marcos, Virginie Marques, Sandra Mallol, Angel Pérez-Rufaza, Corinna Breusing, Oscar Puebla, David Mouillot
Collaborateurs principaux
Stéphanie Manel (EPHE-Université PSL, CEFE), Nicolas Loiseau (post-doc CNRS) ; David Mouillot (Université Montpellier ; MARBEC)
Organismes partenaires
- EPHE-Université PSL, CEFE-UMR 5175, CNRS, Université de Montpellier, Université Paul-Valéry Montpellier, France
- UMR 9190 MARBEC, IRD-CNRS-IFREMER-UM, Université de Montpellier, France
- Department of Ecology and Evolutionary Biology, University of Toronto, Canada
- GEOMAR Helmholtz Centre for Ocean Research Kiel, Evolutionary Ecology of Marine Fishes, Kiel, Germany
- Instituto Español de Oceanografía, Centro Oceanográfico de Baleares, Spain
- Department of Marine Sciences and Applied Biology, University of Alicante, Spain
- Université de Perpignan Via Domitia, CEFREM, UMR 5110, Perpignan, France
- School of Marine Studies, University of South Pacific, Suva, Fiji
- Stockholm Resilience Centre, Stockholm University, Sweden
- Departmento de Ecología e Hidrología, Facultad de Biología, Campus de Espinardo, Regional Campus of International Excellence ‘‘Campus Mare Nostrum’’, University of Murcia, Spain
- Australian Research Council Centre of Excellence for Coral Reef Studies, James Cook University, Townsville, QLD 4811 Australia.