Les réponses des arbres à la température sont-elles optimales ?
Les changements climatiques affectent déjà de nombreuses espèces et les interactions entre celles-ci. A l’avenir, ces changements vont s’intensifier, et pour s’adapter aux climats futurs, les espèces devront changer. Néanmoins, nous ignorons en général quelles adaptations seront optimales dans ces climats à venir. Pour progresser dans notre compréhension des défis adaptatifs futurs, un consortium de chercheurs de Montpellier (notamment du Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE - CNRS / Univ. Montpellier / Univ. Paul Valery Montpellier / EPHE / IRD) et de l'Institut des Sciences de l'Evolution de Montpellier (ISEM - CNRS / Univ. Montpellier / IRD / EPHE)), Bordeaux et Avignon, spécialistes de l’adaptation et l’écologie des arbres forestiers, utilisent un exercice de modélisation original pour prédire les valeurs optimales de traits des arbres en fonction du climat. Cette étude a été publiée dans Evolution Letters, un nouveau journal issu des efforts conjoints des Sociétés Européenne (ESEB) et Américaine (SSE) de biologie évolutive pour mettre en valeur les avancées significatives de notre compréhension de l’évolution biologique.
Les forêts sont particulièrement sensibles au changement climatique, qui se produit sur des échelles de temps courtes, relativement à la très longue durée de vie des arbres. Chez de nombreuses espèces, on observe un avancement des dates d’ouverture des bourgeons au printemps, lié au réchauffement des températures. Cependant, on ignore quelle date d’ouverture des bourgeons est optimale et comment cette date optimale varie en fonction du climat. Le modèle PHENOFIT qui s’intéresse à la façon dont les saisons contraignent le développement des plantes, permet de répondre à cette question. Ce modèle a été développé par Isabelle Chuine (CNRS), récompensée cette année par la médaille d'argent du CNRS. Ce modèle prédit la date d’événements récurrents dans la vie des arbres (la date d’ouverture des bourgeons, de floraison, la date à laquelle les fruits sont mûrs et celle à laquelle les feuilles se colorent et tombent) en fonction des températures et d’autres indices, comme la durée du jour, que les arbres utilisent pour ajuster leur développement aux conditions climatiques. En fonction de ces dates et des événements climatiques, le modèle prédit si les arbres se reproduisent avec succès une année donnée. Le modèle PHENOFIT a jusqu’à présent été surtout utilisé pour comprendre la distribution des arbres à l’échelle de continents entiers et les limites climatiques à leur répartition.
Dans leur étude, les scientifiques ont imaginé des arbres avec des réponses différentes à la température et donc des dates d’ouverture des bourgeons différentes la même année. Le modèle PHENOFIT prédit alors le succès de reproduction de ces arbres. Cet exercice permet de déterminer quelle date de débourrement est optimale et maximise le succès de reproduction des arbres. Ils ont appliqué cette approche au sapin, au hêtre et au chêne, trois espèces très communes des forêts européennes, le long d’un gradient d’altitude dans les Pyrénées où le climat change sur de courtes distances. Ils concluent que la réponse du sapin à la température le long de ce gradient lui permet d’avoir des dates d’ouverture optimales à toutes les altitudes où l’espèce se trouve ; le hêtre ouvre ses bourgeons un peu trop tard mais le décalage est modéré à toutes les altitudes ; ce décalage est bien plus important chez le chêne, surtout à haute altitude où les bourgeons s’ouvrent trop tard pour que les fruits puissent être mûrs à temps avant l’arrivée de la mauvaise saison. Les observations sur la production de glands à haute altitude sont en accord avec ces prédictions.
Cette étude révèle donc que les réponses des arbres à la température semblent adaptatives, mais ne sont pas toujours optimales, et que ces patrons varient beaucoup entre espèces, ajoutant de nouvelles incertitudes sur les conséquences des changements climatiques sur les forêts tempérées. Ce travail a été permis par une approche très interdisciplinaire, alliant des expertises très variées joignant la modélisation de l’évolution génétique, celle de l’écophysiologie des arbres, la modélisation du climat, et la confrontation des prédictions à des données de suivis génétiques et écologiques de long terme des forêts.
Référence
Gauzere J., Teuf, B., Davi, H., Chevin, L-M., Caignard, T., Leys, B., Delzon, S., Ronce, O., Chuine I. Where is the optimum? Predicting the variation of selection along climatic gradients and the adaptive value of plasticity. A case study on tree phenology. Evolution Letters. March 2020