Les origines complexes de la viticulture en Méditerranée occidentale
L’étude de pépins de raisin de l’âge du Bronze moyen, conduite par des chercheurs italiens, français et britanniques, procure des informations inédites sur les origines de la vigne domestique et de la viticulture dans le Sud de l’Italie. Cette publication de la revue Scientific Reports démontre l’exploitation de la vigne domestique bien avant la colonisation grecque. Les résultats convergent pour montrer son introduction depuis l’Est de la Méditerranée dès 1 450-1 200 avant notre ère et dévoilent une hybridation avec la vigne sauvage, laissant entrevoir un processus complexe aux origines de la première viticulture locale.
En résumé
- L’étude morphométrique et paléogénomique des pépins de raisin de la grotte de Pertosa, en Campanie (Italie), permet de caractériser les premières vignes cultivées à l’âge du Bronze (1450-1200 av. n. ère).
- Ces dernières comprenaient des vignes domestiques importées depuis l’Est, des vignes de type sauvage et d’autres hybrides.
- L’étude montre la diffusion ancienne de la vigne domestique depuis l’Est de la Méditerranée mais laisse transparaître un processus de domestication progressif en interaction avec les vignes locales
Le poids structurant du vin dans les relations économiques et culturelles des sociétés méditerranéennes antiques, la place de la vigne dans les paysages et les systèmes agricoles ne sont plus à démontrer. Remonter aux origines de cette situation s’avère plus délicat, en l’absence de textes et de témoins archéologiques ostensibles typiques de la viticulture antique de masse (chais, pressoirs, etc). Alors que la vigne sauvage était présente dans une grande part de l’Europe et de la Méditerranée, de nombreuses données, génétiques notamment, laissent penser que la vigne a été domestiquée quelque part à l’Est de la Méditerranée, puis a diffusé progressivement vers l’Ouest avec la viticulture. Mais suivre les aléas, potentiellement complexes, de la domestication de la vigne, de sa diffusion et des interactions possibles avec la vigne sauvage locale offre peu de prise à l’archéologie.
L’archéobotanique joue ici un rôle central. Les méthodes de la morphométrie géométrique et de la paléogénomique, appliquées aujourd’hui aux pépins de raisin archéologiques, permettent de distinguer vigne domestique et vigne sauvage et de rechercher les caractéristiques des vignes domestiques anciennes par comparaison avec les variétés connues aujourd’hui. Il est capital pour mettre en œuvre ces approches de disposer d’excellentes conditions de conservation des graines archéologiques. Les milieux humides offrent alors le contexte le plus propice. Contrairement aux exemplaires carbonisés rencontrés dans la plupart des sites, les pépins gorgés d’eau autorisent la conservation de l’ADN ancien, alors que leur forme, non modifiée par la carbonisation, permet une application plus directe de la morphométrie géométrique.
La grotte de Pertosa-Auletta, localisée en Campanie, dans le Sud de l’Italie, présente de telles conditions, exceptionnelles en région méditerranéenne pour un site de l’âge du Bronze, permettant la conservation de macrorestes végétaux gorgés d’eau. La combinaison de la morphométrie géométrique et de la paléogénomique pour l’analyse des échantillons, encore exceptionnelle en archéobotanique, ouvre une fenêtre unique sur la vigne exploitée dans la deuxième moitié du 2ème millénaire (1450-1200 av. n. ère d’après la datation par le radiocarbone). La morphologie de 55 pépins archéologiques a pu être décrite par la morphométrie géométrique et 5 spécimens contenaient de l’ADN ancien endogène en quantité et qualité suffisantes pour pouvoir être comparés aux séquences génétiques modernes de référence. Les deux approches convergent pour démontrer que la vigne domestique était utilisée par les populations locales à une époque aussi ancienne.
Morphométrie et paléogénomique conduisent à caractériser plus précisément les vignes domestiques anciennes comme s’approchant des cépages actuels destinés à la fabrication de vin, originaires de l’Orient, des Balkans en particulier. Ces résultats donnent ainsi pour la première fois une indication directe de l’introduction de vignes domestiques en Italie depuis l’Est du Bassin méditerranéen. Le rapprochement peut être fait avec les contacts commerciaux et culturels qui se nouent à partir de 1700 av. n. ère entre le Sud de l’Italie et les Mycéniens venus de l’aire égéenne, zone où la vigne était clairement cultivée à cette époque. Il est à l’heure actuelle impossible de préciser si les vignes introduites avaient été domestiquées en Egée ou si les grecs les avaient eux-mêmes héritées de régions plus orientales.
Les résultats obtenus révèlent toutefois que la naissance de la viticulture en Méditerranée occidentale a mobilisé des mécanismes plus complexes que ceux d’une simple diffusion sous influence économico-culturelle. Les occupants de Pertosa continuaient à utiliser la vigne sauvage, probablement locale, en association avec les formes domestiques allochtones. Le profil paléogénomique d’un des pépins du site témoigne même d’une hybridation entre vigne sauvage et vigne domestique importée. Tout ceci suggère que les viticulteurs de l’âge du Bronze cultivaient un assortiment de vignes sauvages et de vignes introduites pleinement domestiquées. De telles pratiques, si elles ont également pris place ailleurs en Méditerranée, ont pu contribuer à déterminer un processus de domestication progressif, irrégulier et variable, plutôt qu’un phénomène rapide correspondant à la simple diffusion d’un type domestique uniforme.
Référence
Breglia, F., Bouby, L., Wales, N., Ivorra, S., & Fiorentino, G. Disentangling the origins of viticulture in the Western Mediterranean. Scientific Reports, publié le 12/10/2023.
Laboratoire CNRS impliqué
Institut des Sciences de l'Évolution de Montpellier (ISEM - CNRS/IRD/Univ. Montpellier)