L’effet caché de la diversité sur la productivité des forêts

Résultats scientifiques

L’effet de la diversité en espèces d’arbres sur la productivité forestière est désormais bien connu, mais les mécanismes sous-tendant ce lien restent encore débattus. Combinant l’analyse de placettes forestières à travers l’Europe et une vaste expérience de simulations, une étude récente publiée dans Journal of Ecology montre que l’effet de la diversité sur la productivité pourrait être jusqu’à 10 fois plus fort qu’estimé auparavant du fait que les forêts plus diversifiées peuvent héberger plus d’arbres que les forêts plus pauvres.

En résumé

  • Le rôle de la diversité en espèces d’arbres sur le nombre d’arbres qu’une forêt peut héberger a été testé et vérifié sur près de 200000 placettes en Europe
  • Les conséquences de ce résultat sur le lien entre diversité et productivité ont été exploré via plus de 7 millions de simulations de dynamique forestière
  • Le lien entre diversité et productivité des forêts pourrait être jusqu’à dix fois plus fort qu’imaginé lorsqu’est pris en compte l’effet de la diversité sur la densité du peuplement, mettant ainsi en évidence un aspect négligé mais pourtant fondamental du rôle de la diversité dans la productivité.

Les forêts assurent de nombreuses contributions de la nature aux populations, comme la provision de produits ligneux et non-ligneux, l’hébergement de biodiversité, ou encore la fourniture de cadres de vie ou de loisirs. Or, la plupart de ces contributions dépendent fortement de la diversité en espèces d’arbres. En particulier, un grand nombre d’études ont pu mettre en évidence que les forêts plus riches en espèces étaient en moyenne plus productives que les forêts plus pauvres.

Cependant, les mécanismes déterminant ce lien diversité-productivité sont encore débattus. De fait, la plupart des hypothèses proposées jusqu’alors se focalisent essentiellement sur comment la croissance individuelle des arbres est impactée par leur voisinage direct, qu’il soit donc composé d’une ou plusieurs espèces. Ce faisant, le possible rôle de processus visibles au niveau de l’ensemble du peuplement, comme le changement de densité maximum d’arbres au sein des forêts, a été ignoré, au mieux négligé. Pourtant, s’il s’avérait que les forêts avec davantage d’espèces puissent héberger plus d’arbres sur une même surface que des forêts moins diversifiées, du fait de la complémentarité entre espèces pour l’utilisation de ressources comme la lumière, cet effet pourrait avoir des conséquences fortes sur la productivité forestière.

 

schéma explicatif
Figure 1.  Les forêts mélangées sont en moyenne plus productives que les forêts monospécifiques. Cependant, la plupart des études se concentrent sur le lien représenté en haut, en contrôlant la densité d’arbres soit expérimentalement, soit analytiquement dans le cas d’études sur le terrain.Cette étude montre comment l’effet diversité sur la productivité est en fait aussi très dépendant de l’effet de la diversité sur la densité. 

Dans cette étude, nous avons tout d’abord vérifié que le nombre maximum d’arbres qu’une forêt pouvait héberger – c’est-à-dire sa densité de peuplement – augmentait bien avec le nombre d’espèces, en analysant des données de près de 200000 placettes (avec 2 367 776 arbres) d’inventaires forestiers de six pays en Europe. Nous avons également mis en évidence que cette tendance était plus forte dans les climats extrêmes (plus froids ou plus secs). Forts de ce premier résultat, nous avons testé ses conséquences sur le lien entre diversité et productivité par une vaste expérience de simulations. En utilisant un modèle de dynamique forestière capable de contrôler la densité des peuplements, nous avons quantifié la force de la relation diversité-productivité avec ou sans contrôle de la densité pour 1015 sites en Europe via plus de 7 millions de simulations. L’analyse de ces simulations a permis de mettre en évidence que l’effet du nombre d’espèces sur la productivité pouvait être jusqu’à 10 fois plus fort quand la densité du peuplement pouvait varier en fonction de la composition en espèces, par rapport aux simulations avec une densité fixe. Là encore, cet effet était plus marqué dans les climats les plus extrêmes.

Alors que de nombreux peuplements forestiers européens sont monospécifiques (comme la moitié des placettes forestière en France), avec des densités souvent contrôlées, la diversification en espèces apparaît de plus en plus comme une stratégie efficace pour réduire la vulnérabilité des forêts face au changement climatique. Cette étude confirme que la promotion du mélange d’espèces renforce la productivité forestière et donc la capacité de séquestration du carbone en forêt, mais dans une magnitude au-delà des estimations antérieures, constituant ainsi un progrès majeur pour démontrer l'importance des forêts mélangées. En outre, la capacité des forêts mélangées à accueillir une plus grande densité d’arbres peut également soutenir d’autres services forestiers, tels que la fourniture d’habitats pour la biodiversité, souvent liée à la structure et à la biomasse des peuplements. Ces résultats ouvrent donc de nouvelles perspectives pour les politiques forestières et les stratégies de lutte contre le changement climatique.

 

imagr foret
Figure 2. Photo de forêt mélangée sur le Mont Aigoual (30). ©Valère Marsaudon. 

Liste des laboratoires CNRS impliqués : 

  • Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE - CNRS, Univ. Montpellier, EPHE, IRD), Montpellier, France. 
     
  • Centre de Recherche sur la Biodiversité et l’Environnement (CRBE – CNRS, Univ. Paul Sabatier Toulouse III, IRD, Toulouse INP), Toulouse, France.
     
  • botAnique et Modélisation de l'Architecture des Plantes et des végétations (AMAP – CNRS, Univ Montpellier, CIRAD, INRAE, IRD), Montpellier, France. 
     
  • Centre de Recherches sur la Cognition Animale - Centre de Biologie Intégrative de Toulouse (CRCA-CBI, CNRS, Univ. Paul Sabatier Toulouse III), Toulouse, France

Référence de la publication 

Morin X, Toïgo M, Fahse L, Guillemot J, Cailleret M, Bertrand R, Cateau E, de Coligny F, Garcia-Valdés R, Ratcliffe S, Riotte-Lambert L, Zavala MA, Vallet P (2024) More species, more trees: the role of tree packing in promoting forest productivity. Journal of Ecology. Publié le 6 Janvier 2024.

 

Contact

Xavier Morin
Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE – CNRS/Univ Montpellier/ Univ Paul Valery Montpellier/ EPHE/IRD)
Paula Dias
Communication - Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE - CNRS / EPHE / IRD / Université de Montpellier)