Le paléoenvironnement, les conditions environnementales mais aussi les activités humaines structurent la biodiversité des poissons d’eau douce de Guyane
La Guyane présente un réseau hydrographique dense avec sept bassins versants majeurs qui abritent plus de 400 espèces de poissons, et représente près de 76 % de la faune piscicole d’eau douce française. Ce territoire qui occupe 1 % de la surface de la région amazonienne est également le mieux préservé et couvert à plus de 90 % de forêt équatoriale. La Guyane est soumise à une forte croissante démographique (2.5 % / an) qui s’accompagne d’une hausse des activités humaines. En parallèle, elle fait aussi face au développement de l’activité minière, légale comme illégale. Une étude publiée dans la revue Global Change Biology montre que la biodiversité piscicole de Guyane est structurée de manière complexe, tant par des processus historiques régionaux que naturels locaux et anthropiques, chacun influençant différemment la composition en espèces et les fonctions supportées par cette biodiversité.
Une des grandes questions de l’Écologie est de comprendre comment est distribuée la biodiversité sur un territoire et quels sont les facteurs responsables de cette distribution spatiale. De plus, la biodiversité peut être appréhendée sous un angle taxonomique (nombre et identité des espèces) ou sous un angle fonctionnel (diversité et nature des fonctions qu’exercent les espèces). Ainsi les facettes taxonomique et fonctionnelle de la biodiversité sont complémentaires et peuvent être structurées différemment.
Des scientifiques du laboratoire Évolution et Diversité Biologique (EDB - UPS/CNRS/IRD), ont étudié la structuration spatiale des poissons d’eau douce à l’échelle du territoire guyanais et l’importance de différents processus influençant cette structuration. Pour cela, la faune piscicole de 85 sites a été inventoriée le long du Maroni, de l’Oyapock et du Sinnamary. Grâce à ces inventaires, les chercheurs ont démontré que la diversité taxonomique des poissons de Guyane était structurée par l’histoire géographique de ces trois bassins versants. Plus particulièrement, la différence de faune piscicole entre ces fleuves est liée à un isolement ancien des bassins versants, antérieure au dernier maximum glaciaire (-20 000 ans). En revanche, l’isolement de ces bassins ne structure que faiblement la diversité fonctionnelle, car la faune piscicole des trois fleuves présente des fonctions similaires. Cette diversité fonctionnelle est plutôt structurée par les conditions environnementales et par la topographie, variant de manière graduelle de l’amont vers l’aval des fleuves. Ces facteurs environnementaux sélectionnent les espèces qui sont les mieux adaptées au milieu environnant, sur la base de leurs caractéristiques morphologiques, physiologiques et comportementales, un processus appelé filtrage environnemental. De plus, les activités humaines génèrent des modifications drastiques de l’environnement, tel qu’un changement des conditions physicochimiques et morphologiques des cours d’eau dans le cas de sites soumis aux effets de l’exploitation aurifère. Ces dégradations accentuent le filtrage environnemental, ne sélectionnant alors que les espèces les plus tolérantes aux perturbations.
Cette étude démontre l’importance d’analyser la biodiversité sous ses différentes facettes car l’impact des activités humaines ne se reflète parfois que de manière limitée sur la diversité taxonomique. Au contraire, les différences de diversité fonctionnelle entre sites sont largement imputables aux perturbations anthropiques qui sélectionnent les mêmes espèces dans la majorité des milieux anthropisés. En d’autres termes, l’anthropisation affecte peu les différences de nombre d’espèces entre sites, mais cause par contre un déclin des espèces qui exercent des fonctions uniques dans l’écosystème, et non redondantes entre sites. Ce phénomène appelé « homogénéisation biotique », est souvent observé dans les milieux fortement impactés par l’homme et se caractérise par un remplacement des espèces spécialistes et sensibles par des espèces généralistes et plus tolérantes à des changements drastiques de l’environnement. Il est ici identifié pour des déforestations de l’ordre de 3 % en moyenne et atteste donc de l’effet conséquent de faibles niveaux d’anthropisation sur la structure fonctionnelle des systèmes aquatiques Guyanais.
Laboratoire CNRS impliqué
- Evolution et Diversité Biologique (EDB - UPS/CNRS/IRD)
Objectifs de développement durable
- Objectif 15 - Vie terrestre
En Guyane, alors que les différences en espèces de poissons entre sites au sein des différents cours d’eau sont surtout dues à l’histoire géographique des cours d’eau, les différences en fonctions supportées par ces poissons entre les sites sont largement influencées par les perturbations humaines. Ces résultats suggèrent que la déforestation, même faible, de ce territoire est le principal facteur influençant la structure fonctionnelle des écosystèmes aquatiques.
Référence
Coutant, O., Jézéquel, C., Mokany, K., Cantera, I., Covain, R., Valentini, A., Dejean, T., Brosse, S.*, & Murienne, J.* (2022). Environmental DNA reveals a mismatch between diversity facets of Amazonian fishes in response to contrasting geographical, environmental and anthropogenic effects. Global Change Biology, 00, 1‑18. https://doi.org/10.1111/gcb.16533. (* Contribution équivalente)