Le champ géothermal de Dallol, aux frontières physico-chimiques de la vie
Le champ géothermal de Dallol, dans le désert du sel du Danakil, en Ethiopie, abrite des environnements multi-extrêmes uniques sur Terre. Une étude interdisciplinaire menée par des chercheurs de l’équipe Diversité, Ecologie et Evolution Microbiennes (DEEM) issue de l’unité d’Ecologie, Systématique et Evolution (ESE - CNRS, Université Paris-Sud/Paris-Saclay, AgroParisTech) à Orsay et de l’Institut de Minéralogie, de Physique de Matériaux et de Cosmochimie à Paris, en partenariat avec des collaborateurs espagnols, et publiée dans Nature Ecology and Evolution montre que, en dépit d’une grande diversité d’archées halophiles minuscules vivant aux abords du site, la vie microbienne est absente des mares hypersalées, chaudes et hyperacides du dôme de Dallol et des lacs hypersalés magnésiens qui l’entourent. Toutefois, des précipités minéraux arrondis dans ces systèmes stériles peuvent être injustement confondus avec des microorganismes par leur morphologie et leur taille. Cette étude montre que la seule présence d’eau à la surface d’une planète ne suffit pas à conclure sur son habitabilité.
Sur le fond de la dépression du Danakil, au nord du rift Est-Africain, se dresse le dôme de Dallol. Toute la région, l’une des plus chaudes de la planète (la température de l’air dépasse facilement les 45°C en hiver), subit une intense activité tectonique, sismique et volcanique. Dallol a l’allure d’un volcan de sel avec une forte activité de dégazage et une activité hydrothermale à son sommet. Le dôme de Dallol et ses environs présentent des combinaisons uniques de paramètres physico-chimiques :
- des eaux hypersalées (réservoirs d’une grotte dans les canyons de sel à l’ouest, le lac Assalé au sud)
- des saumures acides hypersalées riches en magnésium (lacs Jaune et Noir au sud du dôme)
- eaux hypersalées, hyperacides (des pH légèrement négatifs) et chaudes (entre 30 et 108°C) des mares du dôme de Dallol.
Si des microorganismes halophiles, acidophiles et hyperthermophiles, souvent des archées, sont bien connus, est-ce que des microorganismes adaptés simultanément à la combinaison de ces conditions existent ?
Dans une étude publiée dans Nature Ecology and Evolution, des chercheurs de l’équipe Diversité, Ecologie et Evolution Microbiennes (DEEM) au sein de l’unité d’Ecologie, Systématique et Evolution (ESE - CNRS, Université Paris-Sud/Paris-Saclay, AgroParisTech) à Orsay et de l’Institut de Minéralogie, de Physique de Matériaux et de Cosmochimie à Paris en partenariat avec des collaborateurs espagnols explorent cette possibilité en analysant une grande collection d’échantillons collectés le long des gradients de conditions multi-extrêmes et en étudiant la présence potentielle de vie et de ses signatures. Cela se fait à travers une série d’approches interdisciplinaires qui incluent le séquençage massif de gènes marqueurs d’identité microbienne, la culture, la cytométrie en flux, des analyses chimiques des saumures et la microscopie électronique à balayage couplée à l’imagerie chimique. Les résultats suggèrent de manière convergente qu’il n’y a pas de vie dans plusieurs endroits, même si la dispersion par le vent ou par l’homme (les visiteurs du site sont de plus en plus nombreux) est intense : ni dans les mares hyperacides et hypersalées du dôme de Dallol, ni dans les saumures magnésiennes des lacs Jaune et Noir. La présence d’eau liquide à la surface d’une planète est souvent considérée comme un critère d’habitabilité. Cette étude suggère cependant qu’il y a des endroits stériles à la surface de la Terre en présence d’eau liquide, probablement à cause de l’effet chaotropique (désorganisant) des sels magnésiens.
Toutefois, les auteurs détectent de la vie microbienne très diverse dans les systèmes hypersalés à proximité de Dallol (grotte dans les canyons de sel, la plaine de sel à la base du dôme) et dans le Lac Assalé ou Karum. La vie y est largement dominée par des archées minuscules (cellules de taille 200-300 nm) qui s’affilient à des lignages halophiles connus mais aussi à une incroyable variété de lignées, y compris des nouveaux groupes, sans représentants halophiles connus.
Certaines de ces petites cellules peuvent être confondues aves des nanoprécipités minéraux qui sont présents dans les saumures stériles de Dallol. L’imagerie chimique montre que ces biomorphes abiotiques sont riches en silice. Ces observations soulignent combien il est difficile de différencier de vraies biosignatures par rapport à des artefacts minéraux, en particulier pour des morphologies simples et des structures très petites.
Les lignées microbiennes détectées aux abords de Dallol se distribuent largement dans l’arbre des archées et se sont probablement adaptées de manière indépendantes aux fortes salinités à partir d’ancêtres non-halophiles. La mise en culture de ces archées et l’étude de leurs (méta)génomes fourniront une information précieuse sur leurs adaptations moléculaires et leurs modes de vie.
Légende du visuel : Mares hyperacides et hypersalés du dôme géothermal de Dallol. Des analyses interdisciplinaires concluent que la vie ne se développe pas dans ces systèmes multi-extrêmes, même si des archées très variées sont présentes dans les alentours.
Référence
Hyperdiverse archaea near life limits at the polyextreme geothermal Dallol area. Belilla J, Moreira D, Jardillier L, Reboul G, Benzerara K, López-García JM, Bertolino P, López-Archilla AI, López-García P. Nat Ecol Evol. 2019 Nov;3(11):1552-1561. doi: 10.1038/s41559-019-1005-0