La pollution lumineuse nocturne modifie l’expression génique chez les têtards de crapaud commun
La lumière artificielle nocturne est actuellement reconnue comme une menace pour la biodiversité. Ce phénomène global impacte tous les écosystèmes terrestres et aquatiques. Des chercheurs se sont intéressés aux effets de la lumière artificielle nocturne sur l’expression des gènes chez le têtard d’une espèce d’amphibien, le crapaud commun, Bufo bufo. Ces travaux, publiés dans le journal Sciences of the Total Environment, montrent une sous-expression des gènes, particulièrement les gènes impliqués dans le fonctionnement du système immunitaire et le métabolisme lipidique, chez les têtards de crapauds communs élevés avec une pollution lumineuse d’une intensité réaliste avec celle mesurée sur le terrain.
Les amphibiens sont le groupe de vertébrés dont l'état de conservation est le plus mauvais et qui compte la plus grande proportion d'espèces menacées au monde selon les estimations de l'UICN en 2018. Le crapaud commun est une espèce qui peut vivre à proximité des zones urbaines et se retrouver confrontée au phénomène de lumière artificielle nocturne, notamment lors des stades larvaires, où les organismes vivant en milieu aquatique ont moins d'opportunités de fuir la lumière artificielle nocturne que les adultes.
La pollution lumineuse nocturne en modifiant les patrons de photopériode est susceptible d’impacter de très nombreux processus biologiques. Afin de déterminer les conséquences de cette pollution à l’échelle moléculaire, des têtards de crapauds communs ont été élevés avec 3 intensités lumineuses nocturnes écologiquement pertinente : 0,01 lux (intensité témoin) ; 0,1 lux (lueur du halo lumineux) ou 5 lux (intensité d’une rue résidentielle) afin de réaliser une analyse d’expression différentielle des gènes.
Les résultats montrent une altération de l’expression des gènes chez les têtards exposés à la lumière artificielle, et ceci dès une intensité faible de lumière artificielle nocturne, i.e., 0.1 lux, à la fois la nuit, lorsque la lumière artificielle est présente, mais aussi la journée lorsque tous les individus sont exposés à la même intensité lumineuse. De plus, les scientifiques observent un effet dose dépendant du traitement lumineux. Plus l’intensité lumineuse est forte, plus les conséquences sur le niveau d’expression des gènes sont fortes. Globalement, la présence de lumière artificielle nocturne induit une sous-expression des gènes chez les têtards, notamment des gènes impliqués dans le système immunitaire inné et dans le métabolisme lipidique. D’autres voies physiologiques sont affectées dans une moindre mesure, et sont par exemple impliquées dans la régulation de la balance oxydative.
Cette étude démontre que l'exposition de têtards de crapaud commun, même à des niveaux faibles mais écologiquement pertinents, de lumière artificielle nocturne perturbe nettement le patron d’expression des gènes. Les résultats suggèrent que la lumière artificielle nocturne peut affecter l’utilisation des réserves lipidiques chez des organismes en pleine croissance et limiter leur capacité à faire face à des contraintes immunitaires. Compte tenu de l'importance croissante de la lumière artificielle et de la diversité de ses conséquences sur la biodiversité, il paraît essentiel de poursuivre les travaux et d’identifier ses multiples effets négatifs sur les organismes, les populations et les écosystèmes, afin de proposer des solutions de gestion appropriées dans un monde de plus en plus exposé à la pollution lumineuse.
Laboratoire CNRS impliqué
Laboratoire d'écologie des hydrosystèmes naturels et anthropisés (LEHNA – Université Lyon 1 / CNRS / ENTPE)
Objectifs de Développement durable
- Objectif 14 : Vie aquatique
Référence
M. Touzot., T. Lefébure., T. Lengagne., J. Secondi., A Dumet., L. Konecny-Dupré., P. Veber., V. Navratil., C. Duchamp., N. Mondy. 2021. Transcriptome-wide deregulation of gene expression by artificial light at night in tadpoles of common toads. STOTEN. doi.org/10.1016/j.scitotenv.2021.151734