Thons, requins, maquereaux, espadons, ces grands poissons sont constitués de 10 à 15 % de carbone. Lorsqu’ils meurent, ils coulent rapidement à de grandes profondeurs. © IRD - Ifremer

La pêche industrielle inflige une double peine au bilan carbone

Résultats scientifiques

Communiqué de presse - Université de Montpellier

Un poisson qui meurt naturellement dans l’océan, c’est un poisson qui coule dans les profondeurs, entraînant avec lui tout le carbone qu’il contient. Problème : lorsqu’un poisson est pêché, la majeure partie de ce carbone est relâché dans l’atmosphère sous forme de CO2. Un consortium international piloté par des chercheurs du laboratoire MARBEC (CNRS / Université de Montpellier / IRD / Ifremer) estime qu’à cause de ce phénomène, les émissions de CO2 liées à la pêche sont en réalité 25 % plus élevées que ce qui est considéré jusqu’à présent via la consommation en carburant. Sans compter qu’une partie du carbone extrait des océans se fait dans des zones où la pêche n’est pas économiquement rentable. Cette étude est publiée dans Science Advances le 28 octobre 2020.

Pompe à carbone

Ce phénomène naturel, véritable « pompe à carbone », est grandement perturbé par la pêche industrielle, comme le montre une étude récente menée par Gaël Mariani, Laure Velez, Marc Troussellier et David Mouillot du Centre pour la biodiversité marine, l’exploitation et la conservation (MARBEC – CNRS / Université de Montpellier / IRD / Ifremer) en collaboration avec 3 universités étrangères, 2 organisations internationales pour la nature (WWF et National Geographic) et une entreprise (SPYGEN).

« Lorsqu’un poisson est pêché, le carbone qu’il contient est en partie émis dans l’atmosphère sous forme de CO2 quelques jours ou semaines suivant sa capture et sa consommation », explique Gaël Mariani actuellement en thèse. La pêche industrielle serait donc doublement émettrice de CO2 dans l’atmosphère : non seulement les bateaux émettent massivement des gaz à effet de serre en consommant du fioul, mais de surcroît en extrayant les poissons de l’eau elle libère du CO2 qui sans cela resterait captif de l’océan.

Thons, requins, maquereaux, espadons, ces grands poissons sont constitués de 10 à 15 % de carbone.
Thons, requins, maquereaux, espadons, ces grands poissons sont constitués de 10 à 15 % de carbone. Lorsqu’ils meurent, ils coulent rapidement à de grandes profondeurs. Résultat : la majeure partie du carbone qu’ils contiennent est séquestré dans l’océan profond pendant des milliers voire des millions d’années. Ils constituent donc des puits de carbone dont l’ampleur n’avait jamais été estimée.
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Blue carbon

« C’est la première fois que l’on estime la quantité de ce "blue carbon" qui est relâchée dans l’atmosphère par la pêche », explique David Mouillot. Une estimation loin d’être négligeable puisque les chercheurs considèrent que ce déficit de séquestration du carbone dans l’océan profond représenterait plus de 25 % du précédent bilan carbone de l’activité de pêche.

D’après cette étude originale les émissions de CO2 liées à la pêche industrielle devraient donc être revues à la hausse. « Trois quart de ces émissions réelles sont liées à la consommation de carburant, et un quart provient du fait que le carbone contenu dans les poissons pêchés est libéré sous forme de CO2 dans l’atmosphère au lieu de rester enfoui dans les fonds marins », précise le chercheur.

 

Mesures de protection

Pour les auteurs de l’étude, ces nouvelles données constituent un argument de poids en faveur d’une pêche plus raisonnée : « La désactivation par la pêche de la pompe à carbone que représentent ces grands poissons suggère que de nouvelles mesures de protection et de gestion doivent être mises en place, afin qu’une partie de grands poissons reste un puit de carbone et ne devienne plus une source supplémentaire de CO2 », conclut Gaël Mariani.

« Il faut surtout pêcher mieux, renchérit David Mouillot. Les bateaux de pêche vont parfois sur des zones très éloignées, ce qui occasionne une énorme consommation de carburant, alors même que les prises de poissons dans ces zones ne sont pas rentables et que cette pêche n’est viable que grâce aux subventions ». Les chercheurs estiment que 43,5 % de ce "blue carbon" extrait par la pêche provient de telles zones. « Limiter l’extraction de ce "blue carbon" non-rentable économiquement contribuerait donc à réduire les émissions de CO2 en limitant la consommation de fioul et en réactivant une pompe à carbone naturelle et peu coûteuse ».

Références

Let more big fish sink: Fisheries prevent blue carbon sequestration—half in unprofitable areas. Gaël Mariani, William W. L. Cheung, Arnaud Lyet, Enric Sala, Juan Mayorga, Laure Velez, Steven D. Gaines, Tony Dejean, Marc Troussellier, David Mouillot. Science Advances, October 28, 2020. DOI: 10.1126/sciadv.abb4848

 

Communiqué de presse de l’Université de Montpellier

Contact

David Mouillot
Centre pour la biodiversité marine, l'exploitation et la conservation (MARBEC - CNRS / CUFR de Mayotte / IRD / Université de Montpellier)