La métamorphose, un véritable moteur de diversité

Résultats scientifiques

La métamorphose est une stratégie développementale complexe très répandue dans le règne animal (80 % des espèces d’insectes et plus de 50 % des vertébrés), induisant des changements morphologiques, physiologiques et d’environnements au cours de la vie d’un organisme. Des papillons aux grenouilles, la majorité des animaux qui nous sont familiers naissent avec une morphologie qui ne ressemble en rien à celle des adultes. Il a été montré dans de nombreuses études que le développement est un facteur pouvant avoir une incidence considérable sur la dynamique évolutive de la diversité. En particulier chez les espèces avec un développement complexe, qui ont tendance à subir des pressions sélectives plus variables au cours de leur vie en comparaison de celles qui ont des cycles de vie simple. Dans un article publié dans la revue Nature Ecology & Evolution, une équipe de scientifiques du Laboratoire d'Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA – CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1 / Ecole nationale des travaux publics d’Etat), du Muséum de Londres, du University College London et du Florida Museum of Natural History a étudié le rôle de la métamorphose et des changements environnementaux associés sur l’évolution de la diversité morphologique du système crânien chez les salamandres à partir d’un jeu de données conséquent de morphométrie 3D. Les résultats montrent que la métamorphose permet une plus grande autonomie des os impliqués dans la prise alimentaire, facilitant ainsi une évolution rapide des régions qui sont remodelées au cours de la métamorphose durant la vie de l’animal.

Durant la métamorphose, les animaux subissent une transformation extrême et rapide de leur anatomie et mode de vie – incluant parfois des transitions entre des environnements différents – allant d’un état larvaire à adulte. D’une certaine façon, la métamorphose peut être vue comme une seconde naissance pour un animal, avec l’émergence d’un organisme totalement différent produit à partir d’un même matériel génétique. Les salamandres constituent un groupe modèle de choix pour étudier le rôle de la métamorphose sur la diversité car elles présentent des stratégies développementales très variées. Par exemple, certaines espèces dites biphasiques, passent d’un état larvaire aquatique à des stades adultes avec un mode de vie terrestre. D’autres espèces, dites à développement direct (la majorité des salamandres sans poumons), suppriment la phase larvaire libre aquatique, subissant une métamorphose dans l’œuf et donnant naissance à un juvénile terrestre ressemblant déjà aux formes adultes. Enfin, les espèces dites pédomorphiques (comme l’axolotl, la salamandre géante du Japon ou le protée par exemple) vivent toute leur vie en milieu aquatique, capable de reproduire avec une morphologie larvaire, éliminant la phase adulte terrestre et ne subissant plus de métamorphose (ou juste une métamorphose partielle).

Dans une étude parue dans la revue Nature Ecology and Evolution, des chercheuses et chercheurs du Laboratoire d'Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA – CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1 / Ecole nationale des travaux publics d’Etat), du Muséum de Londres, du University College London et du Florida Museum of Natural History ont utilisé des données de morphologie 3D et des approches phylogénétiques pour estimer les taux d’évolution de la morphologie crânienne sur des espèces de salamandres avec différente stratégies développementales afin d’évaluer les possible contraintes imposées par la métamorphose. Les résultats montrent que les espèces aux stratégies développementales complexes (avec de multiples stades) telles que les espèces pédomorphiques ont un taux d’évolution beaucoup plus rapide que les espèces avec un développement direct ; les espèces biphasiques étant intermédiaires. De plus, ces changements de taux d’évolution morphologiques semblent coïncider avec les périodes où ont été estimées les changements de stratégies développementales au cours de l’évolution des salamandres.

Par ailleurs, l’analyse indépendante de chacun des os du crâne montre que ce sont les os qui sont remaniés au cours de la métamorphose et qui changent totalement de forme et de fonction (prise de nourriture) au cours du développement qui présentent les niveaux de disparité et les taux d’évolution morphologique les plus élevés chez les espèces biphasiques et à développement direct. A contrario, les espèces qui ne métamorphosent pas montrent des disparités et des taux d’évolution lent pour l’ensemble des os du crâne.

Ainsi, cette étude montre que la métamorphose a profondément influencé l’évolution du système crânien chez les salamandres, permettant une plus grande autonomie des os impliqués dans la prise alimentaire et facilitant une évolution rapide des régions qui sont remodelées au cours de la métamorphose durant la vie de l’animal. Plutôt que de contraindre la variation des structures fonctionnelles (en lien avec les changements de régime alimentaire et d’environnements), la métamorphose semble plutôt promouvoir l’évolution morphologique du système crânien des salamandres, ceci expliquant peut-être l'ubiquité de cette stratégie développementale chez les animaux.

Photo salamandre
© Quentin Martinez
Diversité crânienne
Diversité de la morphologie crânienne chez les Urodèles (Caudata ou Urodela), ordre d'amphibiens qui gardent une queue à l'état adulte. © Anne-Claire Fabre

 

Référence

Fabre, A-C; Bardua, C; Bon, M; Clavel, J; Felice, R; Streicher, JW; Bonnel, J; Stanley, EL; Blackburn, DC; Goswami, A, 2020. Metamorphosis shapes cranial diversity and rate of evolution in salamanders. Nature Ecology and Evolution 10.1038/s41559-020-1225-3. (in press)

Équipes de recherche

  • Laboratoire d'Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA – CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1 / Ecole nationale des travaux publics d’Etat)
  • Muséum de Londres
  • University College London
  • Florida Museum of Natural History

Contact

Julien Clavel
Laboratoire d'Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA – CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1 / Ecole nationale des travaux publics d’Etat)
Anne-Claire Fabre
The Natural History Museum, Life Sciences, Londres
Laurent Simon
Correspondant communication du Laboratoire d'Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA – CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1 / Ecole nationale des travaux publics d’Etat)