La mégafaune marine de l’Arctique face au changement climatique
L'Arctique se réchauffe presque quatre fois plus vite que le reste de la planète. Les médias diffusent en permanence des visions apocalyptiques de l’impact de ces changements sur les animaux charismatiques que sont les ours polaires, les baleines et les oiseaux marins. Deux chercheurs ont synthétisé toutes les connaissances récentes relatives aux impacts du changement climatique sur la grande faune marine de l’Arctique, afin de mieux identifier nos lacunes. Leur étude, publiée dans Trends in Ecology and Evolution, montre que nous commençons à peine à comprendre ces phénomènes écologiques à l'échelle de l'Arctique.
La mégafaune marine contemporaine (mammifères et oiseaux marins, poissons et céphalopodes de grande taille) est constituée de prédateurs dont l’état de santé nous informe sur le fonctionnement des écosystèmes ; ils représentent de puissants indicateurs écologiques. En Arctique, la mégafaune marine est économiquement et culturellement essentielle pour les communautés locales, en tant que base alimentaire et élément clé des récits fondateurs. Ces espèces favorisent donc la résilience des peuples premiers de l'Arctique, dans le passé et face aux changements mondiaux actuels. Les animaux marins peuplent nos imaginaires, en Arctique et tout autour du monde, mais que savons-nous de leurs vies dans des régions polaires qui sont en train de fondre ?
En scrutant les connaissances disponibles, issues de centaines de publications scientifiques et de leurs propres observations de terrain effectuées au cours des dernières décennies, les auteurs ont constaté que l’exploration écologique de l’Arctique ne fait que commencer. En effet, si les espèces exploitées comme la morue, et certaines zones comme la Mer de Bering sont relativement bien étudiées, d’immense lacunes demeurent. C’est notamment le cas pour la mégafaune marine de l’Arctique russe : la Fédération de Russie dispose de la frontière maritime arctique la plus longue du monde. Dans cette zone immense les études relatives à la mégafaune marine sont six fois moins nombreuses que dans le reste de l’Arctique. De plus, alors que 20% des études scientifiques sur la mégafaune marine arctique se focalisent sur l’ours polaire, des groupes entiers d’espèces comme les calmars sont presque totalement ignorés.
Suite à ce tour d’horizon, les auteurs, David Grémillet (CEFE Montpellier) et Sébastien Descamps (Institut Polaire Norvégien) proposent une feuille de route et dix grandes questions scientifiques pour les futures études de la mégafaune marine arctique dans le contexte des changements globaux. Celles-ci s'appuieront sur des programmes de terrain à long terme inclusifs des communautés locales, tout en capitalisant sur l’utilisation des nouvelles technologies et des bases de données internationales.
Comme le notent les auteurs « L'évaluation rigoureuse des impacts du changement climatique sur la mégafaune marine à l'échelle de l'Arctique est une tâche formidablement ardue. Les écologues sont confrontés aux défis combinés d'un terrain immensément vaste, de conditions météorologiques drastiques et de coûts opérationnels élevés ». Cependant, dans le climat actuel d’extrême tension entre des grandes puissances qui se retrouvent face-à-face en Arctique, ils rappellent également que la recherche scientifique demeure un des véhicules de l’apaisement des relations internationales.
Laboratoires CNRS impliqués
- Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE - CNRS / EPHE / IRD / Université de Montpellier)
- Institut Polaire Norvégien, Framsenteret, Tromsø, Norway
Objectifs de développement durable
- Objectif 13 : Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques
- Objectif 14 : Vie aquatique
Référence de la publication
David Grémillet & Sébastien Descamps (2023) Ecological impact of climate change on Arctic marine megafauna. Trends in Ecology and Evolution