Evolution complexe et inattendue du crâne d’un hibou "géant" de l’île Rodrigues

Résultats scientifiques

Le hibou Otus murivorus, sur l’île Rodrigues, dans l’Océan Indien, a doublé de taille, et subi une légère réduction des ailes, avant de s’éteindre récemment à cause de l’homme. Son crâne a été étudié afin d’y rechercher des effets particuliers de l’évolution insulaire, en collaboration entre le Laboratoire de géologie de Lyon : Terre, planètes et environnement (LGL-TPE), le Laboratoire d'écologie des hydrosystèmes naturels anthropisés (LEHNA), et le NHM Tring (UK). Ce travail, paru dans Scientific Reports, révèle des effets inattendus tels qu’une réduction de la taille relative du crâne et plus encore du cerveau, une latéralisation relative des yeux, ou encore un sens olfactif remarquablement développé, suggérant une capacité probable à charogner des carcasses de tortues.

Comme des centaines d’autres espèces d’oiseaux insulaires endémiques, le Hibou de Rodrigues (l’une des îles Mascareignes dans l’Océan Indien) s’est éteint à cause de l’arrivée de l’homme et des différents impacts anthropiques sur l’écologie insulaire (tels que la déforestation, l’introduction de rats et d’animaux domestiques, ou la chasse). Ce hibou, Otus murivorus, disparu au début du 18e siècle, témoigne d’une évolution insulaire poussée, à un stade inconnu chez les espèces actuelles, avec notamment un doublement de la taille par rapport à son espèce-sœur continentale O. sunia (poids quadruplé), et une légère réduction des ailes.

 

Dans des travaux publiés dans la revue Scientific Reports, une équipe du Laboratoire de géologie de Lyon : Terre, planètes et environnement (LGL-TPE – CNRS / Université Claude Bernard / ENS LYON), du Laboratoire d'écologie des hydrosystèmes naturels anthropisés (LEHNA – CNRS / Ecole nationale des travaux publics d’Etat / Université Claude Bernard), et du NHM Tring (UK), a étudié l’évolution du crâne chez ce hibou en comparaison avec un éventail d’espèces actuelles d’écologies variées, comprenant notamment O. sunia, dans le but de rechercher des particularités morphologiques. Pour cela, un crâne fossile d’Otus murivorus âgé de quelques milliers d’années a été scanné par microtomographie à rayons X, puis  les image 3D du crâne ont été analysées par des méthodes de morphométrie géométrique. A partir des mêmes données d’imagerie, les caractéristiques de la cavité cérébrale ont été quantifiées également, par des mesures traditionnelles (développement relatif des différentes aires cérébrales), ainsi que celles du labyrinthe osseux de l’oreille interne (équilibrage, audition).

 

Les résultats indiquent, par comparaison avec les autres hiboux, que l’espèce de Rodrigues a vu évoluer une série de caractéristiques dont certaines inattendues. L’évolution de la taille de son crâne, et plus encore de son cerveau, ont pris du « retard » par rapport au doublement de la taille corporelle chez cette espèce ; un tel retard évolutif concernant le cerveau était déjà connu chez l’aigle « géant » éteint de Nouvelle-Zélande (Scofield & Ashwell, JVP 29, 637-649, 2009), et pourrait être lié à la complexité structurale du cerveau, qui ne pourrait pas évoluer aussi rapidement en taille. D’ailleurs, chez O. murivorus les yeux sont devenus plus latéraux au cours de l’évolution insulaire, et cela pourrait être lié à la place laissée latéralement et en arrière par le cerveau proportionnellement réduit. D’autre part, une zone cérébrale appelée le bulbe olfactif est fortement agrandie chez le Hibou de Rodrigues (Figure), indice d’un odorat très développé. Cela suggère que cette espèce de hibou avait possiblement un régime alimentaire en partie charognard (comme les vautours), probablement sur des carcasses de tortues endémiques super-abondantes sur l’île à l’époque, aujourd’hui éteintes également.

 

Une telle spécialisation est inattendue et unique chez les hiboux et les chouettes. Notons que l’étude menée n’indique pas que ce hibou ait été plus ou moins nocturne que les autres espèces d’Otus en général. Enfin, les mesures au niveau de la cavité cérébrale et de l’oreille interne indiquent une écologie particulièrement terrestre, des capacités de vol réduites, et un comportement peu farouche : des caractéristiques écologiques répandues chez de nombreux oiseaux insulaires. Le Hibou de Rodrigues témoigne donc de formes d’évolution combinées de façon unique et complexe, et en partie liées à des adaptations inattendues, soulignant l’importance des espèces éteintes dans l’étude biologique de l’insularité.

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Figure. Une des caractéristiques du Hibou de Rodrigues. (a) la longueur du bulbe olfactif (flèches rouge en (c,d)) en fonction de la taille du cerveau, chez un grand nombre d’espèces d’oiseaux ; le Hibou de Rodrigues (cercle orange) figure parmi les oiseaux au bulbe olfactif le plus développé, y compris comparé à son espèce-sœur continentale Otus sunia (triangle turquoise) ou à d’autres Strigidés. Les autres noms sur le diagramme sont les noms abrégés des autres hiboux inclus dans cette étude, et les autres points sont un échantillon d’autres oiseaux. (b) Le crâne et (c) le moulage virtuel de la cavité cérébrale du Hibou de Rodrigues Otus murivorus, comparé à (d) la Chouette des terriers Athene cunicularia ; le bulbe olfactif d’O. murivorus apparaît très développé. Orb=orbite. L’échelle en bas représente 1 cm.
Figure modifiée d’après les Figures 1 et 4 de Duhamel et al. (2020)

 

Les objectifs de développement durable

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  • ODD 15 : Vie terrestre

Ce travail contribue à la compréhension des mécanismes par lesquels l’homme a provoqué l’extinction d’espèces d’oiseaux endémiques insulaires, et la connaissance de ces espèces disparues.

Références

Duhamel A, Hume JP, Guenser P, Salaviale C, Louchart A. Cranial evolution in the extinct Rodrigues Island owl Otus murivorus (Strigidae), associated with unexpected ecological adaptations. Sci Rep. 2020;10(1):14019. Published 2020 Aug 20. doi:10.1038/s41598-020-69868-1

Contact

Antoine Louchart
Laboratoire de Géologie de Lyon, Terre, Planètes, Environnement (LGL-TPE/Univ Lyon/Univ Lyon 1/ENS Lyon/CNRS)
Anais Duhamel
Laboratoire de Géologie de Lyon, Terre, Planètes, Environnement (LGL-TPE/Univ Lyon/Univ Lyon 1/ENS Lyon/CNRS)
Antoine Rigaud
Correspondant communication - Laboratoire de Géologie de Lyon, Terre, Planètes, Environnement (LGL-TPE/Univ Lyon/Univ Lyon 1/ENS Lyon/CNRS)