Et si les derniers néandertaliens n’étaient pas ceux que l’on croit ?
Les vestiges humains étant rares en Préhistoire, les chercheurs utilisent traditionnellement les productions culturelles comme les outillages en pierre taillée pour reconstituer l’histoire des peuplements préhistoriques. En France et au Nord de l’Espagne, les dernières populations néandertaliennes sont traditionnellement identifiées comme celles produisant le « Châtelperronien », une culture qui marque le début du Paléolithique supérieur dans cette région il y a environ 43 000 ans. De manière concomitante, de nombreuses innovations techniques, symboliques et artistiques voient le jour à cette période, et d’intenses débats animent la communauté scientifique pour savoir qui de Néandertal ou de l’Homme anatomiquement moderne est responsable de ces nouvelles manifestations. Dans ce contexte, la culture du Châtelperronien est depuis près de 40 ans utilisée comme un marqueur des derniers néandertaliens dans les modèles visant à comprendre sa disparition. Des recherches récentes publiées dans Nature Scientific Reports, effectuées sur le site de référence de la Roche-à-Pierrot à Saint Césaire, montrent que la situation est plus compliquée et que l’association entre fossiles humains néandertaliens et vestiges archéologiques du Châtelperronien n’y est pas avérée. Le Châtelperronien n’est peut-être donc pas la dernière manifestation des populations néandertaliennes en Europe occidentale.
En Préhistoire, la rareté des restes humains oblige les chercheurs à utiliser les productions culturelles pour retracer l’histoire des populations humaines. Seules de telles associations entre cultures préhistoriques et types humains permettent de discuter de la disparition de formes humaines passées comme l’Homme de Néandertal. De plus, de nombreuses recherches visent à documenter depuis quand les humains ont acquis les caractères que l’on associe généralement au propre d’une culture moderne : langage, pensée symbolique ou religieuse, art…Tous ces comportements ne se fossilisent pas et les archéologues doivent identifier des indices concrets et dater leur émergence dans la culture matérielle des sociétés préhistoriques. Il est désormais admis qu’une grande part de ces traits culturels modernes ne sont pas l’apanage de notre seule espèce Homo sapiens et sont partagés avec d’autres homininés aujourd’hui éteints comme les Néandertaliens. Dans ce contexte, le Châtelperronien, première culture du Paléolithique supérieur en Europe occidentale, datée entre 44 000 et 42 000 ans avant le présent, a fait couler beaucoup d’encre.
Dès sa découverte, le Châtelperronien comme toutes les autres cultures du Paléolithique supérieur, est attribué à Homo sapiens avant que deux sites (Arcy-sur-Cure puis Saint-Césaire) n’ébranlent l’édifice et concourent à indiquer que l’Homme de Néandertal serait l’artisan des premières innovations du Paléolithique supérieur. Dans ce cadre, le site de Saint-Césaire en Charente-Maritime, a joué un rôle majeur avec la découverte en 1979 d’une sépulture néandertalienne dans une couche archéologique attribuée au Châtelperronien. Depuis lors, l’association entre ce type humain et le Châtelperronien est jugée irréfutable et de nombreux scénarios ont vu le jour pour rendre compte de la modernité culturelle des néandertaliens, certains suggérant des phénomènes d’acculturation des derniers néandertaliens au contact des premiers Hommes modernes pour expliquer l’apparition de parures et d’outils complexes en os. Enfin, tous les modèles actuels s’intéressant aux modalités de la disparition de Néandertal considèrent le Châtelperronien comme un marqueur clé des dernières populations néandertaliennes.
Au travers d’une étude détaillée du contexte archéologique de Saint-Césaire, une équipe de chercheurs des UMR PACEA et TRACES a démontré que de très importants mélanges avaient eu lieu sur le site à la suite de processus naturels, empêchant de déterminer si les restes néandertaliens étaient ou non attribuables au Châtelperronien. Des doutes avaient été émis très tôt sur la véracité de cette association à Saint-Césaire, et les intenses débats actuels sur d’autres contextes châtelperroniens (comme la Grotte du Renne à Arcy-sur-Cure) font qu’aujourd’hui, il reste particulièrement difficile de se prononcer sur l’auteur du Châtelperronien. De tels résultats imposent une révision complète des modèles : l’apparition du Paléolithique supérieur en France et dans le Nord de l’Espagne n’est peut-être pas en lien avec Néandertal, et la chronologie et les causes sous-jacentes de sa disparition sont à rediscuter.
Référence :
No Reliable Evidence for a Neanderthal-Châtelperronian Association at La Roche-à-Pierrot, Saint-Césaire, Brad Gravina, François Bachellerie, Solène Caux, Emmanuel Discamps, Jean-Philippe Faivre, Aline Galland, Alexandre Michel, Nicolas Teyssandier & Jean-Guillaume Bordes. Scientific Reports, 2018-12.
DOI: 10.1038/s41598-018-33084-9
Contacts chercheurs
Bradley GRAVINA
De la Préhistoire à l’actuel : culture, environnement et anthropologie - PACEA (CNRS/univ Bordeaux/Ministère de la Culture)
gravina.brad@gmail.com
Emmanuel DISCAMPS
Travaux de Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés - TRACES (CNRS/univ Toulouse/Ministère de la Culture)
ediscamps@gmail.com
Nicolas TEYSSANDIER
Travaux de Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés (TRACES - CNRS/univ Toulouse/Ministère de la Culture) : teyssand@gmail.com