La variabilité morphologique des coquilles des gastéropodes vivipares du genre Bellamya dans l’écorégion du lac Victoria. Sept espèces sont reconnues, mais certaines espèces/formes sont maintenant rares et potentiellement éteintes.

Effondrement des populations d’invertébrés du Lac Victoria

Résultats scientifiques

Les grands lacs de l’Est africain, dont le Lac Victoria, abritent les écosystèmes d’eau douce les plus riches en espèces de la planète. Cependant, la région écologique du lac Victoria et ses lacs et rivières avoisinantes ont été fortement perturbées par divers changements anthropiques dont l’introduction d’une espèce envahissante, la perche du Nil, et les pêcheries industrielles. Auparavant, cette écorégion a subi des phases d’aridité prononcées au cours du dernier million d’années. Les conséquences de tels changements récents et historiques ont été décrites pour la radiation des poissons de la famille des cichlidés. Les effets de ces changements environnementaux sur la diversité des invertébrés d’eau douce restent pourtant largement inconnus. Une nouvelle étude montre un effondrement majeur des populations de gastéropodes, qui a commencé il y a environ 150 000 ans, et qui est intensifié par les changements environnementaux récents. Comprendre les conséquences de ces transformations écologiques est essentiel pour le maintien de la biodiversité, la gestion de la pèche et la durabilité des fonctions socio-économiques de ces écosystèmes.

Abritant une radiation évolutive d’environ 500 espèces de poissons cichlidés, le lac Victoria représentait jusqu’à une époque récente un ‘vivier de Darwin’, et l’un des exemples les plus spectaculaires de l’évolution en marche. Cependant, ce lac a été transformé d’un laboratoire naturel d’étude de l’évolution en la plus grande pêcherie continentale d’Afrique. Bien que les pêcheries du lac restent pour l’instant productif, plusieurs perturbations anthropiques, comme la dégradation et la modification des habitats, la pollution, la surexploitation des stocks halieutiques, l’introduction d’espèces envahissantes, et le changement climatique, ont déstabilisé profondément les réseaux trophiques et donc les écosystèmes du lac et de l’écorégion. A part chez les poissons cichlidés, les interactions controversées entre l’environnement et la diversité dans l’écorégion n’ont pas généré d’études détaillées sur les populations d’autres organismes d’eau douce. Ce manque de connaissances implique que les effets des changements en cours sur les écosystèmes restent peu évalués, notamment quant à la composition des communautés et la démographie des organismes benthiques. L’efficacité des stratégies appliquées pour la préservation de la biodiversité est donc incertaine. Les changements menacent également les fonctions socio-économiques du lac, notamment la durabilité des pêcheries dont les communautés locales dépendent actuellement. 

La côte du lac Albert proche de la ville de Kaiso
La côte du lac Albert proche de la ville de Kaiso
© Christian Albrecht

Dans ce contexte, des chercheurs du laboratoire Evolution, Ecologie et Paléontologie (Evo-Eco-Paléo – CNRS/Univ. Lille) et de l’Université Justus Liebig, Gießen en Allemagne se sont attelés à examiner la diversité génétique et la démographie historique au sein des populations de gastéropodes vivipares de l’écorégion du Lac Victoria (Fig. 1), élément important du réseau trophique.

Fig. 1. La variabilité morphologique des coquilles des gastéropodes vivipares du genre Bellamya dans l’écorégion du lac Victoria. Sept espèces sont reconnues, mais certaines espèces/formes sont maintenant rares et potentiellement éteintes. Les analyses génétiques suggèrent de l’hybridation entre plusieurs de ces formes qui ont été rapprochées écologiquement par la dégradation des habitats.
Fig. 1. La variabilité morphologique des coquilles des gastéropodes vivipares du genre Bellamya dans l’écorégion du lac Victoria. Sept espèces sont reconnues, mais certaines espèces/formes sont maintenant rares et potentiellement éteintes. Les analyses génétiques suggèrent de l’hybridation entre plusieurs de ces formes qui ont été rapprochées écologiquement par la dégradation des habitats.
(© Bert Van Bocxlaer, 2020)

Leurs résultats, publiés dans la revue Molecular Ecology mettent en évidence trois groupes de gastéropodes qui sont génétiquement séparés et géographiquement isolés. Chacun de ces trois groupes montre une diminution importante des populations qui a commencé il y a 125 000-150 000 ans, donc bien avant les changements anthropiques récents, et également avant les diminutions observées dans les cichlidés (il y a 15 000 ans). La récente détérioration des écosystèmes a ensuite mené à un effondrement majeur : on estime que les populations de ces gastéropodes ont des tailles 200 fois inférieures à celles d’il y a 125 000-150 000 ans. Cet effondrement diffère également des prédictions précédentes basées sur l’estimation des changements du réseau trophique (Fig. 2).

Estimation du réseau trophique avant et après l’arrivée de la perche du Nil et d’autres espèces envahissantes dans la région écologique du lac Victoria. Ces estimations ont été faite dans les années 1990 et indiquent la disparition des cichlidés haplochromines, mais elles ont également mené à la prédiction que certains groupes, y compris les gastéropodes (cadre rouge), augmenteraient fortement en abondance après la diminution de pression exercée par la prédation. Nos résultats diffèrent fortement de cette prédiction et montrent qu’il reste beaucoup à apprendre sur les interactions trophiques dans l’écorégion du lac Victoria. Modifié de Dobson et Frid
Estimation du réseau trophique avant et après l’arrivée de la perche du Nil et d’autres espèces envahissantes dans la région écologique du lac Victoria. Ces estimations ont été faite dans les années 1990 et indiquent la disparition des cichlidés haplochromines, mais elles ont également mené à la prédiction que certains groupes, y compris les gastéropodes (cadre rouge), augmenteraient fortement en abondance après la diminution de pression exercée par la prédation. Nos résultats diffèrent fortement de cette prédiction et montrent qu’il reste beaucoup à apprendre sur les interactions trophiques dans l’écorégion du lac Victoria.
Image modifié de Dobson et Frid (2009, Ecology of Aquatic Systems)

La détérioration des écosystèmes entraîne l’homogénéisation de micro-habitats auparavant diversifiés et contribue à la disparition, voir l’extinction, de certaines espèces, et à une augmentation du flux génique entre les espèces au sein des groupes. Comprendre les conséquences des transformations de l’écosystème d’eau douce est essentiel pour le maintien de la biodiversité et la gestion de la pêche dans cette écorégion.

Les objectifs de développement durable

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  • ODD 1 : pas de pauvreté
  • ODD 2 : zéro faim
  • ODD 3 : bonne santé et bien-être
  • ODD 6 : eaux propres et assainissement
  • ODD 8 : travail décent et croissance économique
  • ODD 14 : vie aquatique

Cette publication apporte des données afin d’améliorer la gestion des ressources naturelles, notamment les écosystèmes littoraux d’eau douce tropicaux, et de rendre cette gestion plus durable afin de permettre la durabilité socio-économique de ces écosystèmes.

Références

Van Bocxlaer, B., C. Clewing, A. Duputié, C. Roux, C. Albrecht. 2020. Population collapse in viviparid gastropods of the Lake Victoria ecoregion started before the Last Glacial Maximum. Molecular Ecology. DOI: 10.1111/mec.15599.

Contact

Bert Van Bocxlaer
Evolution, Ecologie et Paléontologie (EVO-ECO-PALEO - CNRS/Univ de Lille)
Jessie Cuvelier
Communication - Evolution, Ecologie et Paléontologie (EVO-ECO-PALEO - CNRS/Univ de Lille)