Des tapis d'herbe pour assainir l’habitat construits il y a 200 000 ans par Homo sapiens

Résultats scientifiques

L’utilisation de plantes dans des sites paléolithiques n’est que rarement identifiée du fait de la mauvaise conservation de la matière organique. Une équipe internationale d'archéologues, comprenant trois chercheurs appartenant à deux laboratoires du CNRS, présente aujourd'hui dans la revue Science la découverte de tapis d'herbes utilisées il y a 200 000 ans par les habitants d’une grotte sud-africaine pour créer des zones confortables et éloigner les insectes.

Le site de Border Cave, perché au sommet d’une falaise à la frontière entre l’Eswatini et la province sud-africaine du KwaZulu-Natal, fouillé depuis 2015 par une équipe franco-sud-africaine, vient de livrer une découverte inattendue. La fouille de couches archéologiques vieilles de 200 000 ans et les nombreuses analyses qui ont suivi le travail sur le terrain ont révélé que des gerbes d'herbes appartenant à la sous-famille des Panicoideae à larges feuilles ont été déposées à l'arrière de la grotte sur des couches de cendres. De ces tapis ne subsistent que des traces éphémères d'herbe silicifiée, à peine visibles à l’œil nu mais analysables à l’échelle microscopique. Certains lits d’herbe reposent sur des couches d’herbe brûlées, vraisemblablement dans le but d’assainir le sol et éliminer les parasites. A d’autres endroits, ce sont les cendres provenant de feux qui ont été dispersées pour créer une surface sur laquelle a été posée une nouvelle couche d’herbe. Les chercheurs estiment que la pose d'une couche d'herbe sur les cendres correspondait à une stratégie délibérée, destinée à créer une base propre pour le lit d’herbe, mais aussi afin de repousser les insectes, principalement les tiques. Plusieurs récits ethnographiques indiquent que les insectes ne peuvent pas se déplacer dans une poudre fine car la cendre bloque leur appareil respiratoire, les empêche de piquer et finit par les déshydrater. Des restes de Tarchonanthus, une plante riche en camphre, ont été identifiés au sommet du tapis le plus ancien. Cette plante est encore utilisée de nos jours pour éloigner les insectes dans les régions rurales d'Afrique de l'Est. Les restes archéologiques découverts dans les tapis révèlent que les hommes préhistoriques les utilisaient comme lieu de travail, de repos et pour consommer leur repas car des débris de la fabrication d'outils en pierre et des ossements ont été trouvés mélangés aux restes d'herbe. De nombreux petits grains arrondis d'ocre rouge et orange, repérés au milieu des restes végétaux fossilisés, pourraient provenir de la peau, couverte d’ocre, des visiteurs ou d’objets colorés. Les habitants de Border Cave ont régulièrement fait du feu et entretenu des foyers à l’intérieur de la grotte. Des foyers sont présents tout le long de la stratigraphie du site, qui va de 200 000 à 38 000 ans avant le présent. Les résultats de l’étude montrent qu'il y a 200 000 ans les premiers membres de notre espèce maitrisaient parfaitement le feu et l’utilisaient, ainsi que les cendres et des plantes médicinales, pour aménager le sol de leurs habitats et éloigner les parasites. Ces stratégies ont sans doute eu des effets bénéfiques sur l’état de santé de ces populations. L'étude a été menée par une équipe multidisciplinaire comprenant des chercheurs de l'Université du Witwatersrand (Afrique du Sud), du CNRS (UMR PACEA-Universités de Bordeaux et CEPAM-Université Côte d'Azur), de l'Instituto Superior de Estudios Sociales (Tucumán, Argentine), de l'Institut Royal du Patrimoine Culture (Belgique), et de l’Université de Bergen (Norvège).

Border Cave

De haut en bas, localisation de Border Cave, entrée de la grotte, restes d’herbes fossilisés repérés à la fouille, photos des restes végétaux au microscope électronique à balayage. © Kruger, Wadley, Sivers.

 

Contact

Francesco d'Errico
De la Préhistoire à l'actuel : culture, environnement et anthropologie (PACEA - CNRS/Univ. Bordeaux/Ministère de la Culture)
Daniela Rosso
Universidad de Valencia, Espagne
Anne-Cécile Baudry-Jouvin
Correspondante communication - De la préhistoire à l'actuel : culture, environnement et anthropologie (PACEA - CNRS/Univ. de Bordeaux/Ministère de la Culture)