Des pesticides interdits depuis plus de 40 ans continuent d’empoisonner les oiseaux de l’Antarctique
Un pesticide autrefois utilisé en zone tempérée affecte le comportement territorial et réduit la fécondité d’un oiseau antarctique. C'est ce que révèle une étude du Centre d'études biologiques de Chizé (CNRS/Université La Rochelle), du laboratoire Environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux (CNRS/Université Bordeaux), de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes et publiée dans Science of the Total Environment. Bien qu’interdits depuis longtemps, ces polluants historiques restent donc toujours une menace, y compris aux pôles.
Les « douze vilains » est le nom peu flatteur donné à une catégorie de polluants organiques persistants (POP) considérés comme les contaminants les plus répandus et les plus nocifs pour l’environnement et la santé humaine. Il s’agit principalement de molécules organochlorées utilisées comme composés industriels (PCB) et d’insecticides dont le chlordane, la dieldrine, ou le tristement célèbre DDT. La Convention de Stockholm a interdit la production et l'utilisation de ces POPs très persistants et très bioaccumulables. Les problèmes liés à ces ‘polluants historiques’, interdits depuis des décennies, sont-ils derrière nous ? Visiblement ce n’est pas le cas…
En Terre Adélie, dans les Terres Australes Antarctiques Françaises, ces molécules toxiques transportées par les courants atmosphériques sont toujours bien présentes dans la faune, au point d’affecter la reproduction et le comportement de certains oiseaux marins. C'est ce que révèlent les travaux de chercheurs du Centre d'études biologiques de Chizé (CEBC, CNRS/Université de La Rochelle), du laboratoire Environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux (EPOC, CNRS/Université de Bordeaux) et de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE). En réalisant des prises de sang sur des skuas antarctiques, prédateurs d'œufs et de poussins de manchots, les chercheurs montrent que ces oiseaux marins longévifs accumulent des PCB, et de nombreux pesticides organochlorés. C’est le cas en particulier du Mirex qui était utilisé depuis la fin de la deuxième guerre mondiale dans le sud des Etats-Unis, en Amérique du Sud et en Australie, pour combattre certaines fourmis invasives et des termites. En couplant les concentrations sanguines de ces POPs historiques à un suivi démographique à long-terme (skuas identifiés par une bague), les chercheurs montrent que cette contamination au Mirex s’accompagne d’une baisse de la fécondité. De quelle façon ce pesticide peut réduire le succès reproducteur des skuas ? Extrêmement territoriaux, les skuas attaquent tout intrus (autres skuas, volontiers cannibales, mais aussi chercheurs un peu trop curieux !) à grand renfort de piqués vertigineux et de postures agressives destinées à dissuader toute approche des nids. Or, il s’avère que les oiseaux les plus contaminés par le Mirex sont moins agressifs et cette moindre capacité à défendre leurs œufs et leurs poussins pourraient expliquer leur plus faible succès reproducteur.
Ces résultats, publiés tout récemment dans la revue Science of the Total Environment, prévoient un déclin des populations d'oiseaux à cause de l’accumulation de ces polluants historiques au niveau des pôles. Cette étude, soutenue par l'Institut polaire français (IPEV), l'Agence nationale de la recherche (ANR) et le CNRS (Zone Atelier Antarctique), démontre donc que malgré des décennies de régulations et d’interdiction, ces pesticides organochlorés sont bien présents dans des contrées aussi lointaines que l’Antarctique et restent toujours une menace pour la biodiversité polaire.
Référence :
Demographic, endocrine and behavioral responses to mirex in the South polar skua, Aurélie Goutte, Alizée Meillère, Christophe Barbraud, Hélène Budzinski, Pierre Labadie, Laurent Peluhet, Henri Weimerskirch, Karine Delord, Olivier Chastel publié dans Science of the Total Environment
Contacts chercheurs
Aurélie GOUTTE
Centre d'étude biologique de Chizé- CEBC (CNRS / Université de la Rochelle), École Pratique des Hautes Étude - EPHE
aurelie.goutte@upmc.fr
Olivier CHASTEL
Centre d'étude biologique de Chizé - CEBC (CNRS / Université de la Rochelle)
olivier.chastel@cebc.cnrs.fr
Contact communication
Bruno MICHAUD
Centre d'étude biologique de Chizé - CEBC (CNRS / Université de la Rochelle)
05 49 09 67 43 - bruno.michaud@cebc.cnrs.fr