Derniers chasseurs, premiers paysans en Méditerranée occidentale : quelles interactions ?

Résultats scientifiques Interaction Homme-Milieux

L’émergence du monde agropastoral se fait, en Méditerranée occidentale, au travers d’un phénomène d’expansion depuis un foyer originel proche-oriental. Ce processus démarre il y a environ 10 000 ans et s’étend rapidement vers l’ouest notamment, pour atteindre les rivages atlantiques trois millénaires plus tard. Or, à ce même moment, toute l’Europe est occupée par des groupes de chasseurs-collecteurs indigènes dont le mode de vie disparaîtra au cours de cette expansion. Leur rôle n’est toutefois que rarement pris en considération dans les grands modèles rendant compte des dynamiques de diffusion des communautés agro-pastorales. Le travail de deux chercheurs du CNRS, issus du laboratoire Travaux de Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés (TRACES – CNRS / Université Toulouse Jean Jaurès / Ministère de la Culture) publié dans PLOS ONE remet en perspective les potentielles interactions entre ces diverses populations sur la base des données chronologiques et géographiques les plus fiables. Plusieurs scénarios contrastés sont proposés qui illustrent des interactions régionalement très variées, loin des modèles uniformes.

L’apparition du monde agro-pastoral néolithique se fait, en Méditerranée occidentale, par l’expansion de ce nouveau mode de vie et nouvelle organisation sociale depuis un foyer originel proche-oriental. Les processus à l’œuvre sont liés à des déplacements de populations et/ou de transmissions de concepts. En quelques trois millénaires à peine, la quasi-totalité du continent européen est touché par le phénomène. Cependant, tout cet espace était auparavant peuplé de groupes mésolithiques, c’est-à-dire des chasseurs-collecteurs nomades ou semi-nomades, dont le mode de vie aura disparu à l’issue de ce processus. Que sont-ils devenus ? Ont-ils été assimilés par les nouveaux arrivants et se sont-ils convertis à l’agriculture, à l’élevage, à la sédentarité, à une nouvelle organisation sociale et même à de nouvelles cosmogonies ou religions ? Ou, au contraire, les populations mésolithiques ont-elles pâti de situations conflictuelles ou de l’arrivée de maladies portées par les nouveaux arrivants ? Ont-ils fui devant l’expansion de ce nouveau monde pour finalement disparaître progressivement dans quelques zones-refuges délaissées par les colons néolithiques ? La question est très complexe et les réponses certainement très nuancées régionalement.

Cette expansion néolithique, ou « néolithisation », est donc un phénomène continental dont l’explication a généré nombre de modèles visant à en décrire les dynamiques internes et les rythmes. Mais, beaucoup de ces modèles ne prennent en compte que la moitié des acteurs, à savoir les nouveaux arrivants néolithiques. Les groupes de chasseurs-collecteurs indigènes sont rarement inclus dans ces modèles à large échelle. Ils sont considérés comme évidemment présents, une sorte de toile de fond un peu floue amenée à s’évaporer au fur et à mesure de la densification des installations néolithiques. Certaines arythmies dans la dynamique de diffusion des communautés agro-pastorales sont pourtant parfois mises en relation avec de supposées résistances de chasseurs, ou leur plus forte densité. Mais comment démontrer ces potentielles interactions ?

C’est la question qu’ont traitée deux chercheurs du CNRS (du laboratoire Travaux de Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés (TRACES – CNRS / Université Toulouse Jean Jaurès / Ministère de la Culture)) dans ce travail publié dans la revue PLOS ONE. La base de leur démarche repose sur un constat simple : démontrer une possible interaction entre ces deux mondes suppose deux faits a priori évidents, à savoir une réelle proximité géographique entre les deux acteurs mais également chronologiques. Seuls des groupes proches dans le temps et dans l’espace ont pu interagir les uns avec les autres.

Pour la première fois à l’échelle de la Méditerranée occidentale dans son ensemble, incluant non seulement l’Europe du Sud mais également l’Afrique du Nord, ces deux chercheurs du laboratoire TRACES de Toulouse proposent une appréhension de ces dynamiques par le biais des données chronologiques et géographiques les plus précises. Leur travail se base à la fois sur un examen critique des données existantes ainsi que sur un important renouvellement de celles-ci grâce à deux programmes collectifs internationaux qu’ils ont dirigés : l’ANR « PROCOME »1 et le programme IDEX (Université fédérale de Toulouse) « MeNeMOIA »2 et une base de données collaborative en ligne développée depuis près de 30 ans3 .

Les résultats obtenus montrent des situations régionales très contrastées. Dans certaines régions, un véritable hiatus d’occupation semble exister entre les dernières attestations de chasseurs autochtones et les premiers agropasteurs, permettant à ces derniers de prendre place dans des lieux qui purent leur sembler dépeuplés. Ailleurs, la proximité géographique et chronologique fut beaucoup plus réduite, et l’on peut voir les groupes de chasseurs refluer devant l’expansion néolithique, comme repoussés par eux. Dans d’autres endroits au contraire, la forte présence de chasseurs-collecteurs semble avoir tout simplement bloqué cette expansion. Enfin, en de très rares endroits, il est possible de démontrer une coexistence sur un même territoire des deux groupes, laissant alors la porte ouverte à toutes les hypothèses de mixage biologique, d’assimilation culturelle, etc.

Par ce retour très détaillé aux sources primaires et à leur analyse critique, ce travail archéologique renouvelle la question des interactions entre derniers chasseurs-collecteurs et premiers agropasteurs en Méditerranée occidentale. Les scénarios historiques qui peuvent être construits sur ces données apparaissent ainsi beaucoup plus fins et variés que ce que peuvent en laisser penser les grands modèles génériques, souvent trop simplistes.

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Carte des sites du bassin occidental de la Méditerranée pris en compte dans cette étude attribués aux derniers chasseurs-collecteurs mésolithiques (triangles bleus) ou au premiers agropasteurs (ronds rouges). La taille des symboles varie selon la fiabilité plus ou moins grande des données disponibles pour chacun des gisements.
  • 1ANR-13-CULT-0001 « PROCOME : prolongements continentaux de la néolithisation méditerranéenne» (dir. C. Manen 2014-2018 / https://traces.univ-tlse2.fr/accueil/navigation/la-recherche/prbm-prehistoire-recente-du-bassin-mediterraneen/anr-procome-prolongements-continentaux-de-la-neolithisation-mediterraneenne-545072.kjsp)
  • 2Programme IDEX (programme Émergence, université fédérale de Toulouse) « MeNeMOIA - Du Mésolithique au Néolithique en Méditerranée occidentale : l’impact africain » (dir. T. Perrin 2016-2017). Ce travail a également bénéficié du support de l’International Research Network (IRN CNRS INEE ) « DECAPAN : des derniers chasseurs aux premiers agropasteurs en Afrique du Nord » (dir. T. Perrin 2019-2022 / https://decapan.hypotheses.org/)
  • 3BDA - Base de données archéologiques, développée par T. Perrin depuis 1994. Accessible à : https://bda.huma-num.fr/ (DOI : http://dx.doi.org/10.34847/nkl.dde9fnm8)

Contact

Thomas Perrin
Travaux et Recherches archéologiques sur les cultures, les espaces et les sociétés (TRACES - CNRS / Univ. Toulouse Jean Jaurès / Ministère de la Culture)
Claire Manen
Travaux et Recherches archéologiques sur les cultures, les espaces et les sociétés (TRACES - CNRS / Univ. Toulouse Jean Jaurès / Ministère de la Culture)
Sandrine Costamagno
Correspondante communication - laboratoire Travaux de Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés (TRACES – CNRS / Université Toulouse Jean Jaurès / Ministère de la Culture)