Découverte d’une pratique familiale d’embaumement des corps dans le Sud-Ouest de la France au début de l’Epoque moderne
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Contrairement à la momification égyptienne, au Moyen Âge et à l'époque moderne l’embaumement visait uniquement à ralentir la décomposition d’afin d’exposer le corps d’un membre d’une famille royale ou noble lors de ses funérailles. Au château des Milandes (Dordogne), la découverte exceptionnelle de 13 individus d’une même lignée, dont 5 enfants âgés de 6 mois à 14 ans, tous embaumés, a permis de documenter les opérations menées afin de prolonger la conservation des corps. Ces résultats publiés dans la revue Scientific Reports révèlent le très haut statut social de la famille, y compris de ses plus jeunes membres, traités avec autant de soin que les adultes.
Alors que les pratiques d'embaumement sont généralement associées aux rituels funéraires égyptiens ou sud-américains, la préparation des corps dans l'Europe occidentale médiévale est attestée depuis le IXe siècle. Elle était pratiquée ponctuellement dans les familles royales, nobles et bourgeoises à la fin du Moyen Âge et au début de la période moderne. Contrairement à la momification égyptienne, cette pratique visait uniquement à ralentir la décomposition afin d’exposer le corps d'un membre d'un groupe social privilégié lors de ses funérailles. Alors que son mode opératoire est partiellement documenté par des traités de chirurgie et des sources bioarchéologiques essentiellement limités au Nord-Est de la France, de nombreux aspects pratiques de l’opération demeurent cependant mal connus. Les parties du corps affectées par la préparation, les outils utilisés et les éventuelles différences de traitement en fonction de critères tels que le sexe ou l'âge au moment du décès restent notamment à éclaircir. En outre, les cas d’embaumements familiaux multiples en Europe occidentale médiévale et moderne ont rarement été rapportés, et le seul cas connu comportant des enfants était, jusqu'à présent, la famille des Médicis en Italie (XVIe-XVIIIe siècles).
De 2017 à 2019, la découverte d'une crypte dans la chapelle du château des Milandes (Castelnaud-la-Chapelle, Dordogne, France) et l’étude des vestiges qu’elle renfermait a révélé l'inhumation collective des restes épars de sept adultes et cinq enfants (âgés de 6 mois à 14 ans). Ceux-ci appartenaient à la famille aristocratique des Caumont, décédés aux XVIe et XVIIe siècles et leurs squelettes présentaient tous des traces de pratiques d'embaumement. En 2021, une seconde opération archéologique dans le chevet de la chapelle a permis de mettre au jour la tombe individuelle d'une femme âgée dont le corps a également été embaumé. Grâce à l’intégrité de son squelette, une recherche approfondie a pu être menée sur le modus operandi de l'embaumement médiéval à partir des marques de découpe laissées sur les ossements crâniens et infra-crâniens, ainsi que sur les outils utilisés. Les protocoles mortuaires appliqués aux adultes et aux enfants ont également pu être comparés.
Les analyses à l’échelle macroscopique et au microscope confocal ont révélé un traitement technique minutieux et hautement standardisé, similaire pour les adultes et les enfants, et témoignant d'un savoir-faire transmis sur au moins deux siècles. La première étape consistait à exposer le crâne en pratiquant des incisions longitudinale et transversale sur le sommet de la tête à l'aide d'un scalpel. L'opérateur sciait ensuite le crâne de manière circulaire è, afin de retirer avec précaution le cerveau intact. Paradoxalement, le soin apporté au cadavre et à la préservation des organes n’empêchait pas des manipulations plus franches, puisque dans l’un des cas recensés l’opérateur a arraché manuellement un fragment de voûte. Un autre résultat fondamental mis en évidence est que le processus d'embaumement impliquait aussi un décharnement extrêmement minutieux des membres supérieurs et inférieurs, et ce jusqu'à l'extrémité des doigts et des orteils. Dans la collection du château des Milandes, les marques d’incisions sur le squelette des sujets immatures se situent dans les mêmes régions anatomiques que chez les adultes, . avec une éviscération complète.
Le grand nombre d’individus embaumés et la fréquence de ce traitement post-mortem dans cette famille démontrent l'existence d'une véritable tradition d'exposition des défunts qui n'est pas explicitement mentionnée dans les sources textuelles, mais que les témoignages archéo-anthropologiques ont permis de révéler. Cette coutume vise à assurer la continuité de la cérémonie mortuaire, sans doute pour laisser à la communauté le temps d'être informé et de venir se recueillir. Le fait que la seule occurrence comparable de cette pratique en Europe occidentale soit attestée dans la famille des Médicis, de très haut lignage et régnant sur le grand-duché de Toscane, reflète le statut social particulièrement élevé de la famille des Caumont depuis de nombreuses générations, probablement dépositaire d’une forte influence au niveau régional et au-delà. L’application de ce traitement aux membres de cette famille, quels que soient leur âge au décès et leur sexe, reflète également l'acquisition de ce statut par la naissance et souligne la grande importance que revêt un événement tel qu’un décès à l’échelle de la lignée.
Référence de la publication
Partiot, C., Bessou, M., Kacki, S., Penet, M., Sachau-Carcel, G., & Castex, D. (2024). First bioarchaeological evidence of the familial practice of embalming of infant and adult relatives in Early Modern France. Scientific Reports, publié le 14 novembre 2024.
Laboratoire CNRS impliqué
UMR 5199 De la Préhistoire à l’Actuel : Culture, Environnement et Anthropologie (Pacea – CNRS / Université de Bordeaux)
UMR 7268 Anthropologie bio-culturelle, droit, éthique et santé (ADES – CNRS / EFS /Aix-Marseille Université)