Découplage entre diversité fonctionnelle et phylogénétique des communautés végétales

Résultats scientifiques

Il est généralement admis que plus les espèces qui composent une communauté ou un habitat sont éloignées sur le plan évolutif, plus il y a de chance qu’elles assurent des fonctions très différentes dans l’écosystème. Cependant, une étude récente, publiée dans la revue Nature Ecology & Evoution, montre que dans le cas des plantes vasculaires cette hypothèse est fausse et que même des communautés composées d’espèces proches sur le plan phylogénétique peuvent assurer des fonctions très différentes et qu’on ne peut donc pas se contenter de la diversité phylogénétique pour conserver une diversité de fonctions.

En résumé

  •  La théorie suggère que diversité fonctionnelle et phylogénique sont positivement liées, de sorte que conserver des habitats riches sur le plan de l’histoire évolutive permet de conserver plus de fonctions.

  •  Sur la base de 1 781 836 relevés de végétation, et contrairement à la théorie, la diversité fonctionnelle des communautés végétales est découplée, voir négativement liée, à la diversité phylogénétique.

  •  Conserver les communautés végétales les plus riches sur le plan de l’histoire évolutive n’implique pas nécessairement de maximiser la diversité fonctionnelle.

Il est généralement admis que plus les espèces qui composent une communauté ou un habitat sont éloignées sur le plan évolutif, plus il y a de chance qu’elles assurent des fonctions très différentes dans l’écosystème. Cependant, une étude récente, publiée dans la revue Nature Ecology & Evoution, montre que dans le cas des plantes vasculaires cette hypothèse est fausse et que même des communautés composées d’espèces proches sur le plan phylogénétique peuvent assurer des fonctions très différentes et qu’on ne peut donc pas se contenter de la diversité phylogénétique pour conserver une diversité de fonctions.


D’après la théorie des filtres en écologie, le fait que certaines espèces cohabitent dans la même communauté est le résultat d’une succession de facteurs qui agissent comme des filtres et qui sélectionnent les espèces les plus adaptés aux conditions locales. Parmi ces facteurs, la compétition tend à favoriser la coexistence d’espèces qui assurent des fonctions différentes au sein de l’écosystème plutôt que la coexistence d’espèces aux fonctions équivalentes, augmentant ainsi la diversité fonctionnelle de la communauté. De même, plus une communauté est composée d’une multitude d’espèces éloignées sur le plan évolutif (p.ex., les mousses sont très éloignés des plantes à fleurs d’un point de vue phylogénétique), plus il y a de chances que ces espèces soient complémentaires sur le plan fonctionnel. Par exemple, une forêt mélangée d’espèces de conifères et de feuillues dont le sous-étage est composé de mousses et de fougères qui cohabitent avec des plantes à fleurs monocotylédones et dicotylédones présente une diversité phylogénétique a priori très élevée, ce qui suppose une diversité fonctionnelle très élevée. Cependant, d’après les résultats d’une récente étude publiée dans la revue Nature Ecology & Evolution, cette corrélation positive entre diversité fonctionnelle et phylogénétique ne semble pas s’appliquer de manière systématique chez les communautés végétales terrestres, bien au contraire.


Une équipe internationale mené par le centre allemand pour la recherche sur la biodiversité intégrative (iDiv, Halle-Jena-Leipzig) a réalisé une analyse de la base de données sPlot, regroupant plus d’1,7 millions de relevés de végétations dans le monde à travers 114 pays différents et couvrant tous les types de climats. En recoupant la composition de ces assemblages d’espèces avec des données sur les traits des espèces liés à la production primaire, l’activité photosynthétique ou la reproduction (hauteur, surface foliaire spécifique, masses des graines, etc.), traits issues d’une autre base de données (TRY), et une phylogénie globale des plantes vasculaires, les résultats de cette analyse contredisent la théorie : il n’y a pas de corrélation positive entre diversité phylogénétique et diversité fonctionnelle ! Au contraire, ces deux facettes de la biodiversité sont totalement découplées l’une de l’autre voire légèrement corrélées de manière négative.

Figure 1. Exemple de forêt mélangée d'espèces feuillues et conifères dans le cirque de Baume, Jura. ©Jonathan Lenoir


Plus de la moitié des relevés de végétation analysés possèdent une diversité fonctionnelle très élevée alors que la diversité phylogénétique y est relativement faible. Seuls 30% des relevés de végétation analysés présentent des diversités fonctionnelles et phylogéniques simultanément très élevées ou très faibles. Il est particulièrement intriguant de constater que la majorité des communautés végétales puissent présenter une multitude de traits fonctionnels différents impliqués dans l’acquisition des ressources, l’évapotranspiration, la croissance, le stockage, la fécondité, la dispersion etc., tout en étant composées d’espèces proches sur le plan phylogénétique. Cela présente d’importantes implications en biologie de la conservation puisqu’il ne suffit pas de conserver des habitats riches sur le plan phylogénétique pour garantir une diversité de fonctions. Au contraire, il est nécessaire de considérer ces deux facettes de la biodiversité indépendamment l’une de l’autre pour maximiser la résilience des écosystèmes en environnement changeant.

Laboratoire CNRS impliqués 

  • Ecologie et dynamique des systèmes anthropisés (EDYSAN), UMR CNRS 7058, Université de Picardie Jules Verne 

  • Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE), UMR CNRS 5175, Université de Montpellier, CNRS, EPHE, IRD, Campus CNRS, Montpellier.

Référence de la publication 

Hähn, G. J. A., Damasceno, G., Alvarez-Davila, E., Aubin, I., Bauters, M., Bergmeier, E., Biurrun, I., Bjorkman, A. D., Bonari, G., Botta-Dukát, Z., Campos, J. A., Čarni, A., Chytrý, M., Ćušterevska, R., De Gasper, A. L., De Sanctis, M., Dengler, J., Dolezal, J., El-Sheikh, M. A.,. . . Bruelheide, H. (2024). Global decoupling of functional and phylogenetic diversity in plant communities. Nature Ecology & Evolution. Publié le 3 décembre 2024. 

Contact

Jonathan Lenoir
Écologie et dynamique des systèmes anthropisés (EDYSAN - CNRS/Univ. Picardie Jules Verne)