Comment évaluer la vulnérabilité des vertébrés terrestres face aux invasions biologiques ?

Résultats scientifiques
  • Les vertébrés terrestres sont exposés aux espèces exotiques envahissantes sur plus d’1/3 de la surface terrestre mondiale ;
  • Il est possible d’identifier des zones de forte vulnérabilité qui contiennent à la fois des espèces exposées et des espèces sensibles aux invasions ;
  • Les connaissances sur les invasions biologiques manquent dans de nombreux pays et conduisent à une sous-estimation de la menace actuelle.

Dans le cadre de la COP15 sur la biodiversité en 2022, 196 pays ont pris un engagement historique pour freiner la perte de biodiversité mondiale en visant une réduction de 50 % des introductions et des impacts des espèces exotiques envahissantes (EEE) d’ici à 2030. Afin d’atteindre cet objectif ambitieux, il est essentiel d’identifier les zones les plus vulnérables aux EEE pour prioriser les actions de lutte et de prévention pour préserver la biodiversité. Une équipe scientifique du Laboratoire Écologie – Systématique – Évolution (ESE – Univ. Paris-Saclay / CNRS / AgroParisTech), du Muséum national d’Histoire naturelle et de l’Université d’Edimbourg (Ecosse) vient de cartographier la vulnérabilité mondiale aux invasions biologiques. Leurs travaux viennent d’être publiés dans la revue Global Change Biology.

 

Les espèces exotiques envahissantes (EEE) désignent certains animaux ou végétaux dont l’introduction par l’humain, volontaire ou fortuite, sur un territoire dont ils ne sont pas originaires représente une menace majeure pour les écosystèmes. Une recherche récente a révélé que les invasions biologiques, bien que déjà connues pour leur impact dévastateur sur la biodiversité, sont encore sous-évaluées en raison d’un manque de prise en compte de la vulnérabilité des espèces natives face à cette menace. 

 

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Figure 1. Espèces exotique envahissante : le serpent arboricole brun (Boiga irregularis) est une espèce de serpent qui a été introduite involontairement sur l’île de Guam dans le Pacifique et qui a décimé les populations d d’oiseaux natives de cette île. © Soulgany101

Cette étude novatrice a ainsi analysé à la fois la répartition spatiale de plus de 300 espèces exotiques envahissantes et la sensibilité de plus de 1 600 espèces de vertébrés (oiseaux, mammifères et reptiles) à ces invasions, en se basant sur la Liste Rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).

Les résultats montrent que 38 % des terres mondiales sont exposées aux invasions biologiques, mais que l’exposition seule ne suffit pas pour évaluer les risques. Les travaux ont permis de révéler que les oiseaux sont particulièrement vulnérables dans les zones côtières d’Amérique du Nord et du Sud, d’Afrique du Sud, d’Australie, et d’Asie du Nord-Est, ainsi que dans les îles océaniques, en Nouvelle-Zélande, et certaines régions européennes. De même, les mammifères et les reptiles affichent des niveaux de vulnérabilité très élevés en Australie de l’Est, et des niveaux élevés en Amérique du Nord et en Asie du Sud-Est. En outre, des zones de forte vulnérabilité pour les mammifères sont présentes en Argentine, dans le Rift africain et à Madagascar, tandis que les reptiles sont particulièrement menacés dans les îles du Pacifique et des Caraïbes.

Les régions de très faible vulnérabilité (faible sensibilité et faible exposition aux espèces non-natives envahissantes) incluent les latitudes polaires, l’Amazonie, la majeure partie de l’Afrique, et l’Asie centrale. Toutefois, ces zones correspondent souvent à des lacunes de données, laissant entrevoir des zones potentiellement vulnérables encore non identifiées. Ce travail met en lumière les besoins urgents de connaissances pour protéger les espèces natives et leurs habitats, en particulier dans les régions insulaires et côtières à haute biodiversité.

 

Figure 2. Espèce menacée par les espèces exotiques envahissantes : le diable de Tasmanie (Sarcophilus harrisii) est une espèce de mammifère marsupial emblématique et natif d’Australie et Tasmanie, zones particulièrement vulnérables aux EEE. Les diables de Tasmanie sont menacés par la présence de renards et de chiens introduits sur l’île. © KeresH 

Les résultats révèlent d’importantes disparités dans l’évaluation de la menace posée par les EEE sur la faune. Les oiseaux présentent une évaluation quasi complète de leur sensibilité aux invasions biologiques (>99 % de couverture), tandis que les mammifères et les reptiles montrent des lacunes importantes, avec seulement 43 % des mammifères et 69 % des reptiles qui ont des données adéquates concernant la menace des invasions biologiques. 

Ce qui est d’autant plus surprenant c’est qu’en intégrant l’information de complétude des données utilisées, l’analyse a mis en évidence des zones géographiques dépourvues de données de qualité même si on les pensait bien étudiées, comme l’Europe de l’Ouest par exemple. De fait, bien que les savoirs généraux sur la biodiversité augmentent, les connaissances sur la dispersion et les impacts des EEE demeurent insuffisantes pour évaluer la menace qu’elles représentent dans de nombreuses zones du monde.

 

Référence de la publication

Marino, C., Leroy, B., Latombe, G., & Bellard, C. (2024) Exposure and sensitivity of terrestrial vertebrates to biological invasions worldwideGlobal Change Biology, publié le 4 décembre 2024.

Laboratoire CNRS impliqués

Laboratoire Ecologie Systématique Evolution (ESE – CNRS / Université Paris Saclay / AgroParisTech), 91190, Gif-sur-Yvette, France. 

Contact

Clara Marino
Ecologie Systématique Evolution (ESE - Université Paris-Saclay/CNRS/AgroParisTech)
Céline Bellard
Écologie
Sandrine Fontaine
Correspondante communication : Laboratoire Écologie, Systématique et Évolution (ESE) (CNRS/AgroParisTech/Université Paris Saclay),
Béatrice Albert
Communication - Laboratoire d’Ecologie, Systématique et Evolution (ESE - CNRS, Université Paris-Sud/Paris-Saclay, AgroParisTech)