Choix de partenaire : si les deux sexes s’en mêlent, les barrières entre espèces sont plus fragiles
Les espèces s’hybrident-elles lorsque mâles et femelles se choisissent mutuellement ? Une étude publiée dans Nature Communications par des chercheurs du Centre d’Écologie Fonctionnelle et Évolutive (CEFE – CNRS/Univ Montpellier/ Univ Paul Valery Montpellier/ EPHE/IRD) montre, par un modèle mathématique, que les préférences de partenaire sexuel peuvent évoluer de façon très inattendue et notamment déstabiliser les barrières entre espèces. Cette dynamique évolutive pourrait expliquer pourquoi des espèces s’hybrident même longtemps après la spéciation.
Chez beaucoup d’animaux, les femelles investissent plus d’énergie que les mâles lors de la reproduction (production d’œufs, gestation, soin parental…). On pense donc souvent que les femelles doivent choisir soigneusement leur partenaire sexuel, alors que les mâles font feu de tout bois. Pourtant, malgré cette asymétrie d’investissement, les partenaires se choisissent mutuellement chez de nombreuses d’espèces. Ce choix mutuel est-il important dans l’isolement génétique entre les espèces ? A première vue, si mâles et femelles montrent tous deux une préférence pour les partenaires de leur propre espèce, les barrières entre espèces devraient en être renforcées. L’étude publiée suggère le contraire.
Les chercheurs ont construit et analysé un modèle mathématique décrivant l’évolution de deux gènes déterminant l’un les préférences des mâles et l’autre celles des femelles, chez deux populations vivant dans des environnements différents. Il apparaît que le « choix mutuel » est favorisé même si les mâles investissent peu d’énergie dans la reproduction. En effet, lorsque les femelles rejettent fortement les mâles qui ne leur ressemblent pas, les mâles ont intérêt à faire de même, car ils gagnent du temps et des opportunités à éviter de courtiser des femelles qui les rejettent. Le choix mutuel peut donc évoluer facilement. Cette coévolution des préférences des deux sexes favorise-t-elle l’isolement des espèces ? Contrairement à notre intuition, cela peut au contraire affaiblir les barrières entre espèces.
Imaginons une situation où les deux espèces sont adaptées à des niches distinctes, et où leurs hybrides sont mal adaptés. Si le choix des femelles favorise l’évolution du choix des mâles, l’inverse n’est pas vrai. Lorsque les mâles montrent de fortes préférences, alors les femelles peuvent relâcher leurs préférences, sans conséquences immédiates car elles resteront courtisées par des mâles de leur propre espèce. Mais si les femelles relâchent leurs préférences, alors les mâles ont intérêt à faire de même ! Nous arrivons donc a une situation où ni les femelles ni les mâles n’ont de préférence marquée. Les accouplements se produisent alors au hasard et l’hybridation entre espèces augmente fortement. Cette situation n’est que temporaire, car lorsque les mâles courtisent de manière indiscriminée, les femelles ont à nouveau intérêt à exercer un choix plus prudent ; et si les femelles retrouvent une préférence marquée, alors les mâles ont intérêt à gagner du temps en ne courtisant que les femelles à même de les accepter. On retrouve alors la situation classique ou les deux sexes ont des préférences marquées.
Les préférences peuvent ainsi décrire des cycles coévolutifs entre mâles et femelles. Lorsque les barrières en espèces sont affaiblies, des épisodes de forte hybridation peuvent avoir lieu, ayant pour conséquence de brasser périodiquement les patrimoines génétiques et agir contre la formation des espèces.
Les chercheurs ne savent pas si ce phénomène est important dans la nature, mais il suggère que les barrières entre espèces peuvent être dynamiques au cours du temps.
Référence
Aubier T.G., Kokko H & Joron M (2019) Coevolution of male and female mate choice can destabilize reproductive isolation, Nature Communications. 12 November 2019