Aider ou exploiter ? Les génomes d’une nouvelle famille de bactéries symbiotiques révèlent leur caractère.
La description des trois premiers génomes d'un groupe bactérien (Hepatincola spp.) appartenant à l’ordre des Holosporales connu pour regrouper des symbiotes de divers organismes (Insectes, Crustacés, Vers marins et Amibes), apporte des éléments nouveaux sur leur biologie. Ces bactéries étaient jusque-là uniquement décrites en microscopie électronique dans les glandes digestives d'isopodes terrestres (ou cloportes). De par cette localisation tissulaire, ces symbiotes étaient suspectés d'être des symbiotes nutritionnels, participant à l’adaptation à la vie terrestre de leurs hôtes. Les résultats de cette étude sont parus dans ISME Communications.
Le nom des bactéries symbiotiques Hepatincola porcellionum, a été proposé car elles ont été observées pour la première fois en microscopie dans les glandes digestives (Hepatincola pour « habitant des glandes hépatiques ») d’une espèce de crustacé terrestre (porcellionum pour « issu de Porcellio scaber », le cloporte rugueux). Ces bactéries ont ensuite été remarquées chez plusieurs autres espèces de cloportes mais toujours localisées dans les glandes digestives. Ces observations répétées ont amené l’hypothèse, bien que jamais formellement démontrée, que ces bactéries jouaient un rôle dans la digestion de leurs hôtes et leur adaptation à la vie terrestre. Cependant, si ce rôle était vital pour l’hôte on s’attendrait à retrouver ces symbiotes chez tous les individus, ce qui, étonnamment, n’est pas le cas. D’autre part, la seule étude fonctionnelle disponible montrait que les organismes porteurs de ces bactéries avaient une survie diminuée. Ainsi donc, symbiotes bénéfiques ou nocifs ? Cette controverse n’était à ce jour pas résolue.
Le séquençage de trois génomes d’Hepatincola isolés de trois espèces hôtes différentes a permis à une équipe scientifique de lever le voile sur la question. En étudiant l’ensemble des gènes par une analyse phylogénomique (croisement de deux champs de recherche, la phylogénie et la génomique), les chercheurs montrent que ces symbiotes ont divergé précocement des autres familles des Holosporales, un ordre de bactéries regroupant des bactéries intracellulaires présentes chez de nombreux hôtes, et qu’elles constituent un groupe spécifique proche de symbiotes associés aux amibes et d’autres protistes.
En recherchant la trace d’Hepatincola dans les bases de données de séquences géniques, des membres de cette famille sont détectés chez de nombreux autres organismes (insectes, crustacés, vers marins) des écosystèmes terrestres et aquatiques (marins et d'eau douce). Il est également possible de retrouver la trace d’Hepatincola dans des échantillons environnementaux aussi divers que des sédiments, des sols, des lacs, des puits, des bassins versants urbains et des algues marines. Si ces résultats ne prouvent pas qu’Hepatincola est une bactérie environnementale, ils démontrent que la diversité de ce groupe de bactéries est probablement beaucoup plus étendue qu’initialement envisagée.
L'analyse comparative des trois génomes obtenus, montre que ces bactéries possèdent un génome réduit, très épuré, caractérisé par un répertoire simplifié de gènes impliqués dans le métabolisme et la biosynthèse. L’absence de gènes non essentiels est typique de génomes de bactéries symbiotiques en comparaison aux génomes de bactéries libres., Hepatincola code un grand nombre de transporteurs transmembranaires lui permettant potentiellement d’importer, directement de son environnement, les métabolites qu’elle ne sait pas produire elle-même. De plus, comparativement aux Holosporales associées à des amibes, les bactéries Hepatincola possèdent un répertoire différent de gènes permettant la sécrétion d’effecteurs, ce qui est le signe de fortes capacités d'échanges avec leurs hôtes.
Finalement, ces résultats suggèrent que ces microorganismes sont plutôt des parasites pilleurs de nutriments plutôt que des symbiotes nutritionnels bénéfiques pour l'hôte. D'un point de vue évolutif, ces nouvelles données sur un groupe bactérien jusque-là peu connu, suggèrent que la vie intracellulaire pourrait avoir évolué plusieurs fois au sein des Holosporales à partir d'un ancêtre à vie extracellulaire. De manière générale, ces données renseignent sur l’origine de la symbiose hôte/microorganisme.
Laboratoire CNRS impliqué
Ecologie et Biologie des Interactions (EBI - Université de Poitiers / CNRS)
Objectifs de développement durable
- Objectif 15 : Vie Terrestre
Cette étude apporte une meilleure connaissance de la biodiversité des bactéries symbiotiques dont l’implication dans l’évolution et l’adaptation de leurs hôtes est de plus en plus reconnue.
Référence
Dittmer J, Bredon M, Moumen B, Raimond M, Grève P, Bouchon D. The terrestrial isopod symbiont 'Candidatus Hepatincola porcellionum' is a potential nutrient scavenger related to Holosporales symbionts of protists. ISME Commun. 2023 Mar 8;3(1):18. doi: 10.1038/s43705-023-00224-w. PMID: 36882494.