600 ans d’histoire de la contamination du delta du Danube par les métaux lourds

La pollution aux métaux lourds fait l’objet d’une attention croissante en raison de son impact sur la santé des écosystèmes et sur la qualité de l’eau. Dans le delta du Danube – en Roumanie - , au cœur de la Réserve de Biosphère de l’UNESCO, la question de la pollution des milieux par les métaux lourds n’avait été, à ce jour, que très peu documentée et aucune donnée antérieure aux 100 dernières années n’était connue. Une équipe internationale de chercheurs (UMR GEODE et LIENSs, Universités de Suceava et de Shangaï) vient de réaliser l’analyse d’une carotte sédimentaire dans un paléochenal, près du bras de Sulina, dans le delta du Danube.

600 ans d’histoire de contamination par les métaux lourds du delta du Danube

C’est près de 600 ans d’histoire de contamination par les métaux lourds, piégés dans les sédiments de la plus grande zone humide d’Europe, que cette étude internationale vient de dévoiler. L’étude se fonde sur l’analyse des 4 premiers mètres d’une carotte de 9 m de long, dans l’objectif de reconstituer le contexte géomorphologique de la plus grande zone humide d’Europe aux cours des derniers millénaires, mais aussi de comprendre l’histoire de la contamination du delta du Danube par les métaux lourds, que leur origine soit naturelle ou anthropique (liée à l’activité humaine).

Ces 4 mètres de carotte, couvrant les 600 dernières années (l’ensemble de l’Anthropocène), ont fait l’objet d’analyses multiples : datations radiométriques et analyses géochimiques des éléments majeurs (Al, Fe, Ca et S) et des métaux (Cu, Zn, Pb, Ni, Cr et Cd).

Les chercheurs ont identifié 3 unités sédimentaires distinctes sur la base de la variation de la concentration des éléments de la carotte. L’unité inférieure (qui correspond à la tranche -4m -2m et date de ~1450-1700 CE) montre une augmentation des teneurs en cuivre, zinc, plomb, nickel, chrome et cadmium, fortement corrélée à l’aluminium. L’analyse du facteur d’enrichissement (FE) indique que les métaux détectés dans cette unité proviennent principalement de sources naturelles (probablement liées aux exploitations minières en amont du delta).

En revanche, l’unité sédimentaire moyenne (qui correspond à la tranche -2m -1,4m et date de ~1700-1770 CE) et la partie supérieure de la carotte (- 1,40m -1,5m ; ~1770 CE à aujourd’hui) présentent des valeurs du facteur d’enrichissement élevées.  Les plus hauts degrés d’enrichissement de cuivre, zinc et cadmium se produisent dans une couche de tourbe de l’unité moyenne caractérisée par des teneurs plus élevées en carbone organique et en soufre. Ces teneurs indiquent que l’enrichissement diagénétique (modifications physico-chimiques que subit un sédiment, après dépôt, dans les conditions de pression et température "faibles" qui règnent en environnement de sub-surface) des métaux détectés se produit dans des conditions de réduction.

Une entrée passive du delta du Danube dans l’Anthropocène au 18^e siècle

Cette étude montre que le delta du Danube entre passivement dans l’Anthropocène au 18^e siècle du fait de sa connexion aux grandes zones d’Europe centrale par le réseau hydrographique. Il est alors très peu peuplé. Les contaminants, issus de son très vaste bassin versant, viennent s’accumuler depuis les sources amont dans les sédiments de cette zone humide.

Durant le 20^e siècle, un accroissement du facteur d’enrichissement en métaux lourds peut être mis en lien avec l’aménagement du delta pour améliorer la navigation commerciale et pour développer des pêcheries. Les valeurs indiquent une contamination en métaux lourds modérée dans ses lacs et ses bras morts. L’intensification des aménagements du delta durant la période communiste (poldérisation, plantations forestières, aménagements de lacs en pêcheries...) va rapidement modifier le fonctionnement hydrologique au sein du delta.

 L’un des acquis de cette étude est de montrer que le delta, par l’ampleur de ses zones humides et de ses écosystèmes a, dans le passé récent, stocké une grande partie des apports en métaux lourds. Mais cet équilibre est fragile, et des ruptures dans conditions environnementales actuelles (accroissement de la durée des périodes d’étiage, développement des espaces forestiers, modifications des usages...) pourraient avoir des conséquences sur les stocks de sédiments contaminés.

Dans l’ensemble, la contamination des sédiments prélevés dans le delta du Danube est modérée, mais l’étude révèle que son niveau augmente avec le temps. 

Cette étude livre des informations totalement inédites sur l’histoire de la contamination métallique des environnements deltaïques. Elle fournit des valeurs de référence importantes pour les teneurs en métaux lourds dans les sédiments vierges déposés avant le début de l’impact anthropique.