Premier cas d’un changement culturel permettant aux hommes modernes du Middle Stone Age africain de s’adapter à des changements environnementaux

Résultats scientifiques Interaction Homme-Milieux

Les données de la paléoanthropologie et de la génétique s’accordent sur le fait que notre espèce trouve son origine en Afrique il y a environ 200 000 ans. Nos connaissances restent toutefois encore limitées sur les mécanismes en jeu dans le développement des comportements modernes par cette espèce et la possible influence de changements climatiques sur ce processus. Une équipe internationale réunissant des préhistoriens, des paléoclimatologues et des modélisateurs du climat du CNRS 1 et de l’EPHE 2, ainsi que des chercheurs norvégiens, américains et sud-africains vient de montrer que les hommes modernes vivant en Afrique australe entre 66 000 et 58 000 ont développé des innovations qui leur ont permis d’élargir significativement, dans un période de forte aridification, les environnements qu’ils exploitaient. Publiée dans les Proceedings of the National Academy of Sciences, cette étude identifie le premier cas d’un changement culturel permettant aux hommes modernes du Middle Stone Age africain de s’adapter à des changements environnementaux avec des innovations culturelles. Selon les chercheurs, cette flexibilité culturelle pourrait être l’une des clés du succès de plusieurs membres du genre Homo.

L’émergence de notre espèce en Afrique, il y a 200 000 ans, ne s’accompagne pas immédiatement de l’acquisition des comportements qui caractérisent les sociétés préhistoriques plus récentes et historiquement connues. Pendant des dizaines de milliers d’années, les populations africaines d’hommes anatomiquement modernes ont utilisé des technologies qui ne se distinguaient guère de celles des populations non-modernes qui les ont précédées ou qui vivaient à l’époque dans certaines régions d’Afrique, ainsi que hors de ce continent. Plusieurs découvertes archéologiques ont révélé au cours des deux dernières décennies qu’à partir d’environ 80 000 ans, certaines populations africaines d’hommes modernes utilisaient des pigments, portaient des objets de parure, gravaient des motifs abstraits et façonnaient des outils en os. C’est à partir de ce moment que l’on arrive à bien différencier une culture archéologique d’une autre, à saisir avec une certaine précision son étendue chronologique et à la corréler avec l’évolution du climat. Savoir si et de quelle façon les premiers hommes modernes africains ont développé des innovations culturelles pour faire face à des changements environnementaux constitue un enjeu majeur de la recherche en préhistoire.

Pour répondre à cette question, une équipe interdisciplinaire de chercheurs s’est intéressée à deux cultures archéologiques de l’Afrique australe, le Still Bay (76 000–71 000 avant le présent) et le Howiesons Poort (66 000–59 000 avant le présent). Après avoir montré, par des données et des modèles climatiques, que la deuxième culture s’est développée dans une période accrue d’aridité, les chercheurs ont appliqué à la distribution géographique des sites appartenant à ces cultures deux algorithmes prédictifs permettant d’établir la niche écologique occupée par chacune d’entre elles et établir si elles étaient significativement différentes. Les résultats montrent clairement que les groupes du Howiesons Poort ont été capables, en dépit de la forte aridité qui a caractérisé leur période, d’investir des territoires et écosystèmes délaissés auparavant par les groupes du Still Bay.

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Niches éco-culturelles prédites par deux algorithmes prédictifs pour le la culture Still Bay (A et B) et pour la culture Howiesons Poort à 66 000 ans (C, D) et à 60 000 ans (E, F) avant le présent.

Les chercheurs font remarquer que cet élargissement de niche coïncide avec le développement d’innovations culturelles alliant efficacité et plus forte souplesse de mise en œuvre. Cette étude, qui documente le plus ancien cas connu d’un élargissement de niche éco-culturelle coïncidant avec un changement climatique, montre que le processus qui a permis à notre espèce de développer des comportements modernes doit être étudié à l’échelle régionale et dans sa relation avec le climat.

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Eléments archéologiques caractéristiques du Still Bay (A-E) et du Howiesons Poort (F-G)

Notes
1. Unité « De la Préhistoire à l'Actuel : Culture, Environnement et Anthropologie » (CNRS / Université Bordeaux 1 / Ministère de la Culture et de la Communication). Unité « Environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux” Université de Bordeaux, 33615 Pessac Cedex, France.
2. École Pratique des Hautes Études, EPHE PSL Research University.

Référence
Identifying early modern human ecological niche expansions and associated cultural dynamics in the South African Middle Stone Age. D’Errico, F., Banks, W., Dan L. Warren W.D, Sgubin, G., Karen van Niekerk, K. von, Christopher Henshilwood Ch., Anne-Laure Daniau A-L, Sánchez Goñi, MF. Proceedings of the National Academy of Sciences.

Contacts chercheurs

Francesco d’Errico
De la Préhistoire à l’Actuel : Culture, Environnement et Anthropologie (PACEA - CNRS/Université de Bordeaux/Ministère de la Culture)
f.derrico@pacea.u-bordeaux1.fr

William Banks
De la Préhistoire à l’Actuel : Culture, Environnement et Anthropologie (PACEA - CNRS/Université de Bordeaux/Ministère de la Culture)
w.banks@pacea.u-bordeaux1.fr

Contact communication

Isabelle Esqurial
De la Préhistoire à l’Actuel : Culture, Environnement et Anthropologie (PACEA - CNRS/Université de Bordeaux/Ministère de la Culture)
i.esqurial@pacea.u-bordeaux1.fr