Décrypter les génomes pour comprendre la formation des espèces

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

La nature et la chronologie des changements génétiques conduisant à la naissance de nouvelles espèces demeurent mal connues. Le séquençage de génomes complets donne dorénavant accès à de nouvelles informations qui permettent de traduire les variations des séquences d’ADN en un livre de l’histoire des espèces. C’est ce type d’approche, publié dans la revue Nature Communications, qu’a développé une équipe de l’ISEM en collaboration avec l’unité MARBEC, pour reconstituer l’histoire de la spéciation chez une espèce de poisson marin, le bar européen.

 

Connu sous le nom scientifique de Dicentrarchus labrax, le bar Européen est génétiquement subdivisé en deux lignées évolutives en cours de spéciation, le bar atlantique et le loup méditerranéen. Les chercheurs de l’ISEM travaillent depuis plusieurs années à comprendre la succession des événements évolutifs qui ont initié la spéciation chez cette espèce. Une de leurs études précédentes avait déjà montré que la divergence a commencé il y a environ 300 000 ans avec l’isolement géographique des deux lignées dans deux refuges glaciaires séparés. Ce n’est que depuis leur remise en contact à la fin de la dernière période glaciaire que les deux lignées ont recommencé à s’échanger des gènes par hybridation. Le principal enjeu de ces recherches est de comprendre par quels mécanismes évolutifs certaines régions du génome se trouvent être aujourd’hui plus que d’autres impliquées dans l’isolement reproductif.

La particularité de l’étude publiée la semaine dernière est d’aborder cette question en accédant à une couche d’information habituellement inaccessible dans les génomes des espèces diploïdes, celle de la phase des mutations, c’est-à-dire l’agencement des mutations le long des deux chromosomes homologues. Grâce à l’obtention de la séquence paternelle et maternelle de chaque chromosome chez plusieurs individus, les chercheurs ont pu remonter plus loin et plus précisément dans la succession des événements qui ont initié la séparation des deux lignées. Cette reconstitution repose sur une description à fine échelle de la mosaïque des fragments chromosomiques d’origine atlantique ou méditerranéenne qui composent le génome de chaque individu (voir figure). Le nombre, la distribution de taille et la position sur le génome de ces fragments échangés entre les deux lignées révèlent l’importance lors de la divergence de l’accélération du tri du polymorphisme ancestral dans les régions à faible recombinaison, provoqué par la sélection en liaison. Ainsi, les variations du taux de recombinaison le long des chromosomes tendent à sculpter les paysages génomiques de divergence lors des épisodes d’isolement géographique.

L’étude montre également que les régions du génome où la recombinaison est faible résistent plus efficacement à l’homogénéisation génétique lorsque l’hybridation a lieu. Ces régions contenant des mutations qui s’opposent au mélange génétique sont donc préférentiellement impliquées dans l’isolement reproductif.

Les auteurs concluent que les interactions entre sélection et recombinaison peuvent catalyser la spéciation d’une part en accélérant la fixation des mutations et d’autre part en réduisant les échanges génétiques dans les régions à recombinaison réduite. Ces résultats affinent notre compréhension de la spéciation allopatrique, un des mécanismes les plus importants pour générer la biodiversité. Ils s’opposent aussi à l’idée de l’existence de gènes de spéciation qui auraient un effet disproportionné dans l’évolution de l’isolement reproductif mais supportent plutôt l’idée d’un déterminisme hautement multigénique des barrières d’espèces.

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Détail des échanges génétiques détectés le long d’un chromosome. La divergence génétique entre bar et loup varie le long du génome, comme illustré par la courbe violette le long du chromosome 7. Quatre régions de ce chromosome sont représentées en détail pour montrer les différents niveaux de mélange de fragments chromosomiques d’origine atlantique (rouge) et méditerranéenne (orange). La région où la divergence est la plus élevée montre une forte réduction des échanges génétiques, liée à la présence de gènes impliqués dans l’isolement reproductif.

 

Références :

The origin and remolding of genomic islands of differentiation in the European sea bass. M. Duranton, F. Allal, C. Fraïsse, N. Bierne, F. Bonhomme and P.-A. Gagnaire. 2018. Nature Communications 9, 2518,doi:10.1038/s41467-018-04963-6.

Contact chercheur

Pierre-Alexandre Gagnaire
Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (CNRS/Université de Montpellier)
04 67 14 37 32 |  pierre-alexandre.gagnaire@umontpellier.fr

Contact communication

Fadéla Tamoune
Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (CNRS/Université de Montpellier)
04 67 14 36 31 | fadela.tamoune@umontpellier.fr