Le comportement humain évolué, un frein face à l’adaptation aux crises environnementales ?

Résultats scientifiques

La nécessité de réduire les conséquences du changement climatique sur les écosystèmes émane d’un consensus à la fois scientifique et sociétal. Cependant, un sentiment de frustration général accompagne notre incapacité à le faire. La crise actuelle de la Covid-19 est un exemple criant de la manière dont l’évolution de nos capacités cognitives et de nos réponses à une disponibilité limitée des ressources environnementales empêche une adaptation rapide de la société humaine. Dans un commentaire publié dans la revue Trends in Ecology and Evolution, Carsten Schradin, de l’Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC – Univ. Strasbourg / CNRS) explore comment ceci explique notre incapacité à mettre en place des solutions immédiates pour contrer les changements climatiques, pour le bénéfice à long-terme des générations futures.

Alors que les écologues et les climatologues nous disent qu'il faudrait réduire immédiatement les émissions de CO2 pour éviter une crise majeure due au changement climatique, notre échec à le faire suscite une grande frustration. La demande est basée sur les déductions d’experts scientifiques, mais la frustration est en partie liée à un manque de perspicacité dans l’interprétation du message par les politiques et la société civile : l'éthologie et l'écologie comportementale nous disent que nous ne sommes pas capables de nous comporter de manière optimale pour la communauté, mais seulement pour notre bénéfice individuel. La manière dont nous faisons face à la crise sanitaire due à la Covid-19 peut être utile pour comprendre le comportement humain face à une crise mondiale. Il y a trois raisons pour lesquelles nous, en tant qu'individus, ne parvenons pas à réduire rapidement les émissions de CO2 : premièrement, nous sommes limités sur le plan cognitif, car l'évolution a conduit à un système de récompense activé pour les bénéfices immédiats entraînant le bien-être, et non les bénéfices pour les générations futures. Deuxièmement, un comportement entraînant la surexploitation de biens communs tels que le climat a évolué, car il a permis d'augmenter la fitness individuelle, même si ce comportement est préjudiciable à l'espèce. Le comportement de coopération chez les humains a principalement évolué pour accroître l'accès aux ressources, ce qui augmente généralement les émissions de CO2, c'est pourquoi le comportement de coopération évolué n'offre pas de solution pour éviter le changement climatique. Troisièmement, la disponibilité des ressources critiques était essentielle dans la réponse au SRAS-CoV-2 et elle sera cruciale dans la réduction et la réponse aux conséquences du changement climatique.

Écouter la science peut nous indiquer ce qui doit être fait (écologie et climatologie) et aussi ce qui peut être fait (éthologie et écologie du comportement), conduisant à des stratégies d'atténuation adaptatives prenant en compte la nature humaine (cognition, comportement égoïste, comportement dépendant des ressources). Ce constat peut nous aider à arrêter le changement climatique et à nous y adapter. Il sera plus facile pour la société de changer que pour les individus, pour lesquels il est nécessaire d'obtenir des majorités politiques, basées sur des décisions individuelles lors des élections.

La consommation d’énergie à l’échelle mondiale va continuer d’augmenter dans le futur car nous ne diminuerons ni nos déplacements ni notre activité en termes de production ou de consommation de biens. En effet, l’ensemble de la population mondiale gardera comme but commun d’améliorer son mode de vie. Ainsi, notre seule opportunité pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique réside dans notre capacité à investir dans la recherche de formes alternatives de production d’énergie produisant moins de CO2, ou dans les technologies qui vont capter le CO2 émis dans l’atmosphère. Ces investissements monteront à des milliards d’euros mais seront également source d’emploi et de croissance économique. La crise de la Covid-19 a démontré la volonté affichée des sociétés civiles à conduire un changement et leurs potentialités économiques à le faire. Pour combattre le changement climatique, nous avons besoin de cette volonté sociétale pour porter les innovations technologiques et économiques, et ceci nécessite une prise de conscience de la société dans son ensemble qui devra déboucher sur une majorité politique.

Malgré l’élan majoritaire qui a accepté les restrictions sociétales pour faire face à la crise du Covid-19, une minorité significative a été suffisante pour permettre à la pandémie de s’étendre. De manière identique, si une majorité de pays s’accordent à réduire l’utilisation d’énergie fossile, le maintien d’une demande élevée pour une énergie à bas prix ne permettra pas une réduction significative des émissions de CO2. La logique nous conduit donc à obtenir rapidement une majorité citoyenne pour changer la législation, et l’accompagner de mesures politiques fortes et coercitives sur la production de CO2.

La dynamique du changement climatique va poursuivre sa marche en avant et nous devons en conséquence bâtir des sociétés résilientes à son impact. Actuellement, la solution envisagée est de conduire une réduction des émissions de CO2 dont nous savons pertinemment que l’objectif est difficilement réalisable, et qu’il ne peut en conséquence stopper les modifications environnementales actuelles. Nous avons investi des milliards pour faire face à la crise Covid-19. Nous devons faire de même pour porter les nouvelles technologies qui soutiendront la production d’une énergie sans carbone, et ainsi notre adaptation aux modifications climatiques. Ceci ne sera rendu possible que si ces investissements bénéficient surtout aux individus, à travers l’emploi et l’amélioration des conditions de vie. Cela se résume à un simple axiome : plutôt que de viser un monde idéal inatteignable et faire perpétuellement le constat que chaque individu agit de manière égoïste, comportement inévitable face aux conséquences des ajustements exigés, nous devons réaliser que ceux-ci conduisent à une diminution de la qualité de vie individuelle pour une grande part de la société. En conséquence, nous devons viser des objectifs sociétaux et économiques réalistes et en adéquation avec le bien-être individuel. A l’échelle de l’évolution, seul l’individu possède une vraie prise sur son devenir…

Figure adaptée de Schradin 2021, Trends in Ecology and Evolution

Figure adaptée de Schradin 2021, Trends in Ecology and Evolution
Notre comportement individuel (encadré noir) produit des rejets de CO2 responsable des changements climatiques, et la frustation est grande de ne voir aucune des mesures actuelle capable d’endiguer ce phénomène. D’un point de vue de l’évolution, cette inadéquation correspond à l’incapacité de nos capacités cognitives de prendre des décisions comportementales qui vont à l’encontre de bénéfices immédiats (encadré gris), incluant par exemple notre plaisir et notre bien-être. Par le passé, cette stratégie décisionnelle a conduit à notre succès évolutif (encadré gris en haut).
Cependant, les comportements individuels sont également contraints dans nos démocraties par les décisions politiques et juridiques, selon le principe de la majorité décidant des évolutions à venir pour préparer le futur, le tout étant influencer par notre approche culturelle des problèmes (encadrés jaunes). Pour permettre une adaptation efficace, et donc rapide, aux changements climatiques inévitables, nous devons révolutionner ce réseau d’influences culturelles et politiques sur les comportements individuels. Pour ce faire, il nous faudra investir lourdement pour que la mobilisation des ressources permettent aux individus d’accepter les changements dont nous avons besoin pour faire face collectivement aux profondes modifications climatiques qui s’annoncent.  

 

Références

Les objectifs de développement durable

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  • ODD 13 - Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques

Contact

Carsten Schradin
Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC-CNRS/Univ Strasbourg)
Nicolas Busser
Correspondant communication - Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC-CNRS/Univ Strasbourg)