Les provinces de poissons d’eau douce du globe définies pour la première fois

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Pendant près de 200 ans, les géographes de la biodiversité ont séparé les continents en grandes provinces, ou régions biogéographiques, qui reflètent des faunes et flores différentes sur la base des mammifères, oiseaux, plantes, reptiles et amphibiens. Dans une étude parue dans Journal of Biogeography impliquant des équipes du laboratoire Biologie des Organismes, Ecosystèmes et Populations Aquatiques (CNRS/MNHN/Sorbonne Université/IRD/ Université Caen Normandie/Université des Antilles), du laboratoire Evolution et Diversité Biologique (CNRS/IRD/Université Paul Sabatier), MARBEC (CNRS/IRD/IFREMER/UM) et de l’Université de Brasília, ont délimité pour la première fois les régions biogéographiques globales de poissons d’eau douce. Leurs résultats indiquent que les poissons d’eau douce ont les faunes les plus endémiques de tous les vertébrés continentaux.

Il y a près de deux siècles, Philip Lutley Sclater et Alfred Russel Wallace divisèrent le monde des oiseaux et des mammifères en six grandes régions biogéographiques : le Néarctique (Amérique du Nord), le Néotropical (Amérique Centrale et du Sud), le Paléarctique (Europe, Asie et Nord de l’Afrique), l’Ethiopien (Afrique sub-Saharienne), l’Oriental (Asie du Sud-Est jusque Sulawesi) et l’Australien (reste de l’Indonésie et Australie). Chacune de ces régions était considérée distincte parce qu’elle contenait un grand nombre d’espèces endémiques, c’est-à-dire vivant exclusivement au sein de cette région. Depuis, ces régions ont été testées et validées avec les techniques et données modernes sur les plantes, mammifères, oiseaux, amphibiens et reptiles. Cette division du monde en grandes régions biogéographiques s’explique par l’apparition de barrières au cours des temps géologiques – océans, montagnes, climat – qui ont séparé les faunes et flores et les ont fait évoluer distinctement. Ainsi, ces régions servent de base de compréhension pour de très nombreux travaux en écologie et évolution. Cependant, les poissons d’eau douce, le dernier grand groupe de vertébrés continentaux, n’avaient pas encore été étudié, ce qui a poussé les chercheurs à s’intéresser à leur cas. Les poissons d’eau douce ne peuvent pas sortir des rivières, ce qui a poussé les chercheurs à poser l’hypothèse que les faunes de poissons d’eau douce seraient composées de beaucoup plus d’espèces endémiques que celles des autres groupes de vertébrés continentaux, ce qui aboutirait à de nombreuses petites régions.

Dans l’article paru dans le Journal of Biogeography, les chercheurs du laboratoire Biologie des Organismes, Ecosystèmes et Populations (CNRS/MNHN/Sorbonne Université/IRD/ Université Caen Normandie/Université des Antilles), du laboratoire Evolution et Diversité Biologique (CNRS/IRD/Université Paul Sabatier), MARBEC (CNRS/IRD/IFREMER/UM) et de l’Université de Brasília, ont délimité pour la première fois les régions biogéographiques de poisson d’eau douce. Contrairement à leur hypothèse, les chercheurs ont observé qu’il existe bien des grandes régions chez les poissons d’eau douce, même si celles-ci n’ont pas tout à fait les mêmes limites que celles des autres groupes. Néanmoins, ils ont également démontré que les taux d’endémisme des poissons d’eau douce étaient les plus élevés parmi tous les vertébrés continentaux. 

Les chercheurs ont montré que le monde des poissons d’eau douce est avant tout divisé en deux super-régions continentales : le Nouveau Monde (les Amériques) et l’Ancien Monde (Eurasie, Afrique et Océanie). Chacune de ces régions contient plus de 5 500 espèces de poissons strictement d’eau douce, et il n’y a que deux espèces que l’on peut trouver simultanément à l’état naturel dans ces deux super-régions. Ensuite, ces deux super-régions se divisent en six grandes régions similaires à celles de Wallace, avec quelques différences : la région Ethiopienne des poissons couvre l’entièreté de l’Afrique jusqu’à la Méditerranée et la région appelée Sino-Orientale occupe la plupart de l’Asie. Ainsi, les poissons d’eau douce ont eu, peu ou prou, la même histoire que les autres vertébrés continentaux. Cependant, les chercheurs ont observé que dans la plupart des régions de poissons d’eau douce, il y avait plus de 96 % d’espèces endémiques, des taux largement plus élevés que chez les autres vertébrés continentaux (oiseaux : 11-84% ; mammifères : 31-90% ; reptiles et amphibiens : 46-95%). Ces taux extrêmes d’endémisme suggèrent que les poissons d’eau douce sont le groupe de vertébrés continental aux faunes les plus originales et donc particulièrement sensibles aux changements globaux, ce qui doit nous alerter quand on sait que, par exemple, une espèce sur cinq de poisson d’eau douce est menacée en France.

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Cartes des (a) super-régions continentales et (b) et régions biogéographiques des poissons d’eau douce. Ces régions reflètent la distribution des différentes faunes d’espèces (sp.) de poissons d’eau douce sur la surface de la terre. Chacun région est composé d’un très grand nombre d’espèces endémiques, c’est-à-dire que l’on ne trouve que dans la région considérée. Les taux d’endémisme (end.) trouvés sont les plus élevés parmi tous les vertébrés continentaux.

Référence

Leroy B., Dias MS, Giraud E, Hugueny B, Jézéquel C,  Leprieur F, Oberdorff T, Tedesco PA. Global biogeographical regions of freshwater fish species. Journal of Biogeography, 28 August 2019 https://doi.org/10.1111/jbi.13674

 

Contact

Boris Leroy
BOREA - Laboratoire Biologie des ORganismes et des Ecosystèmes Aquatiques
Isabelle Mouas
Communication - BOREA Laboratoire Biologie des ORganismes et des Ecosystèmes Aquatiques