Une expérience historique pour aider à réduire la vulnérabilité littorale en Europe

Résultats scientifiques Interaction Homme-Milieux

Actuellement, 72 millions d’Européens vivent sur 150 000 km de côtes, constituant une population particulièrement exposée aux risques littoraux. Consciente de ce danger, l’Union Européenne a lancé en 2014 un projet de recherche intitulé Resilience-increasing Strategies for Coasts – Toolkit. C’est dans ce cadre scientifique qu’une recherche à caractère interdisciplinaire publiée récemment dans Coastal Engineering a été menée par une équipe de chercheurs du Chrono-Environnement (CNRS / Université de Franche-Comté) et des Universités de Cambridge (RU), Ferrara (Italie) et Faro (Portugal) afin de constituer une base de données historique et d’analyser les anciennes stratégies d’adaptation. Contre toute attente, l’étude révèle que 63 submersions frappèrent ces régions littorales depuis 1600, avec une tendance à la hausse dans le courant du XXe siècle, notamment dans les années 1920-1940. Ce travail montre également le processus d’abandon du principe de précaution après la seconde guerre mondiale, à la faveur de l’urbanisation croissante des côtes, et son corollaire, la vulnérabilité croissante des sociétés littorales en raison de la destruction de paysages plus durables. Enfin, l’article préconise un certain nombre de mesures pour les décideurs, fondées sur la mémoire du risque et des paysages et la reconstitution de territoires plus résilients inspirés du passé.

Pour mémoire, une tempête à l’origine d’une submersion marine frappa brutalement la Mer du Nord en 1953, causant la mort de plus de 2 000 personnes, principalement aux Pays-Bas, en Angleterre, en Belgique et en Ecosse. En dépit de ce lourd bilan humain, la recherche montre que la mémoire de cette catastrophe s’estompa rapidement en France. Pour cette raison sans doute, l’urbanisation du littoral se poursuivit avec, pour corollaire, une vulnérabilité croissante des sociétés littorales. C’est pourquoi la tempête Xynthia de février 2010, à l’origine du décès de 47 victimes, provoqua à la fois un traumatisme et une surprise dans l’opinion publique.

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Stèle érigée à la Faute-sur-Mer en hommage aux 29 victimes de la tempête Xynthia (février 2010). Cliché : E. Garnier

La collecte de données opérée par les auteurs de l’étude dans les archives municipales, les archives étatiques, les écrits privés, la presse ou encore les plans anciens des différents pays a permis de constituer des séries longues de données totalement inédites. Celles-ci seront présentées dans la base de données HISTORISK, créée à l’UMR Chrono-Environnement avec le soutien de la Direction Générale de la Prévention des Risques (Ministère de l’Ecologie), et consultable en ligne à compter de février 2018.

L’étude révèle que 63 submersions frappèrent ces régions littorales depuis 1600. En revanche, les XIXe et XXe siècle se caractérisent par une tendance à la hausse de ces aléas, mais avec de fortes disparités selon les pays considérés et les périodes. Sur la côte atlantique française par exemple, les épisodes tempétueux les plus fréquents et violents se situent entre les années 1920 et 1930, alors que la période postérieure à la seconde guerre mondiale se caractérise par leur quasi absence. L’exploitation de la documentation historique étudiée dans ces différents pays démontre qu’elle peut constituer une démarche robuste pour analyser statistiquement ces événements climatiques extrêmes et diminuer la vulnérabilité des littoraux actuels.

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Erosion de la plage de Soulac (Gironde) après la tempête de 1926
Archives départementales de la Gironde, 2002/086. Cliché : E. Garnier

Ce travail montre également le processus d’abandon du principe de précaution après 1945, à la faveur de l’urbanisation croissante des côtes, et son corollaire, la vulnérabilité croissante des sociétés littorales en raison de la destruction de paysages plus durables. Alors que les plans et les cartes anciens prouvent l’existence de paysages adaptés au risque, avec leurs zones tampons (marais, dunes, prairies) en bordure de mer, leur habitat implanté sur des sites élevés et en retrait du trait de côte, sans oublier leur dense réseau bocager, la rupture intervient ultérieurement. Désormais, le processus de vulnérabilité croissante est en marche. Il passe par la destruction massive des zones humides et des cordons dunaires au profit des villas et complexes touristiques situés au plus près de l’eau.

Enfin, l’article préconise un certain nombre de mesures pour les décideurs, fondées sur la mémoire du risque et des paysages et la reconstitution de territoires plus résilients inspirés du passé, autant de pistes à même de renforcer les stratégies d’adaptation face à la recrudescence des catastrophes annoncée par les climatologues.

Référence
Historical analysis of storms events : case studies in France, England, Portugal and Italy. Ganier, E., Ciavola, P., Armaroli, C., Spencer, T. & Ferreira, O., Coastal Engineering. 
https://doi.org/10.1016/j.coastaleng.2017.06.014

Contact chercheur

Emmanuel Garnier
Laboratoire Chrono-Environnement (CNRS/Université de Franche-Comté)
emmanuel.garnier@univ-fcomte.fr