Un nouveau regard sur la vigueur hybride

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Le croisement d’individus génétiquement éloignés produit souvent des hybrides vigoureux et très féconds, phénomène que l’on nomme hétérosis. Ce phénomène est largement exploité en agriculture mais ses bases physiologiques sont mal comprises. Comprendre et prédire ce phénomène est crucial pour la biologie de l’évolution ainsi que pour la sélection végétale et animale. Une étude publiée dans PLoS Biology impliquant le Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE- CNRS/Univ Montpellier/Univ Paul Valéry Montpellier/EPHE/IRD) et menée en collaboration avec l’INRA, l’Université Paris-Sud et l’institut Max Planck montre que les équations liant la masse et la performance des plantes permettent de prédire la supériorité des hybrides. La modélisation des relations entre caractères offre ainsi de nouvelles perspectives en biologie théorique et appliquée.

La vigueur hybride – aussi appelée hétérosis – est souvent observée lors de croisements entre individus distincts, et ceci quelle que soit l’espèce. Les caractères à déterminisme complexe, comme la fertilité ou la vitesse de croissance, sont particulièrement concernés (Fig. 1). Comprendre et prédire l’hétérosis est par conséquent un enjeu crucial pour mieux appréhender l’évolution des espèces, ainsi que pour accélérer les programmes de sélection végétale et animale. Les bases physiologiques de la vigueur accrue des hybrides restent cependant discutées.

Exemple de croisement induisant de la vigueur hybride sur la fécondité chez A. thaliana© François Vasseur

De plus, les données empiriques montrent que différents mécanismes génétiques et moléculaires sont susceptibles d’expliquer ce phénomène, ce qui rend difficile la prédiction de son émergence et de son amplitude. Dans une étude récemment publiée dans la revue PLoS Biology par des chercheurs du Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE- CNRS/Univ Montpellier/Univ Paul Valéry Montpellier/EPHE/IRD), de l’INRA, de l’Université Paris-Sud et de l’institut Max Planck en Allemagne, les auteurs ont examiné comment la géométrie des relations phénotypiques permettait d’expliquer l’hétérosis observé sur la vitesse de croissance des plantes et le nombre de fruits produits. Cette approche est basée sur l’application d’un modèle proposé il y a 80 ans par Sewall Wright[1] et généralisé récemment par Fiévet et al.[2] , selon lequel l’hétérosis observé au niveau du métabolisme cellulaire est le résultat de la non-linéarité des relations entre les concentrations enzymatiques et les flux métaboliques (Fig. 2A). En utilisant 450 hybrides dérivés de croisements entre des écotypes de l’espèce modèle Arabidopsis thaliana, aussi connue sous le nom d’Arabette des Dames, les auteurs ont constaté que les caractères de performance étaient liés de manière non linéaire à la masse des individus (Fig. 2B), de la même manière que les flux métaboliques sont liées non linéairement aux concentrations enzymatiques.

 

[1] Wright S. Physiological and Evolutionary Theories of Dominance. The American Naturalist. 1934; 68:24–53. https://doi.org/10.1086/280521

[2] Fievet J, Nidelet T, Dillmann C, de Vienne D. Heterosis is a systemic property emerging from non-linear genotype-phenotype realtionships: Evidence from in vitro genetics and computer simulations. Frontiers in Genetics. 2018; 9: 1–20. https://doi.org/10.3389/fgene.2018.00001

 

Effet de la non-linéarité phénotypique sur la performance des hybrides à l’échelle cellulaire (modèle de Wright, A) et à l’échelle de la plante entière (modèle allométrique, B).© François Vasseur

Cette non-linéarité contraint les hybrides à dévier de la valeur moyenne de leurs parents, ce qui conduit à leur meilleure vigueur. En utilisant les modèles mathématiques développés en macro-écologie pour décrire les variations de performance des individus selon leur masse – dits modèles allométriques – cette approche a permis de prédire jusqu’à 75% de l’amplitude de l’hétérosis. À titre de comparaison, la distance génétique entre les parents explique au mieux 7% de l’hétérosis. Les résultats de cette étude corroborent donc le modèle initialement proposé par Wright/Fiévet et al. à l’échelle cellulaire, et suggèrent que l’émergence de l’hétérosis est une propriété intrinsèque de la géométrie des relations entre caractères phénotypiques, à différentes échelles d’organisation. En outre, cette étude montre le potentiel de l’approche pour prédire la vigueur des hybrides, aussi bien chez les espèces végétales qu’animales. Dans le companion paper qui accompagne cette publication, l’auteur évoque « l’élucidation d’une énigme vieille d’un siècle en génétique »[1].

 

[1] Govindaraju DR. An elucidation of over a century old enigma in genetics–Heterosis. PLoS Biol. 2019 ;17(4): e3000215.

 

Référence

 

Vasseur F, Fouqueau L, de Vienne D, Nidelet T, Violle C, Weigel D. Nonlinear phenotypic variation uncovers the emergence of heterosis in Arabidopsis thaliana. PLoS Biol. 2019;17(4):e3000214.

Contact

François Vasseur
Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE - CNRS/Univ Montpellier/Univ Paul Valéry Montpellier 3/EPHE/IRD)