Préserver l'histoire évolutive du vivant dans un contexte taxonomique dynamique
Dans un contexte de crise de la biodiversité où les ressources allouées à la conservation sont limitées, il est important de pouvoir identifier les espèces ou les sites à conserver en priorité. Dans un article paru dans Biological Conservation impliquant le Centre d’Ecologie des Sciences de la Conservation (CESCO - CNRS/MHNH/Sorbonne Université), le Laboratoire Biologie des Organismes et des Ecosystèmes Aquatiques (CNRS/MNHN/Sorbonne Université/IRD/ Université Caen Normandie/Université des Antilles), l’Institut de Systématique, Evolution, biodiversité (CNRS/MNHN/Sorbonne Université/EPHE/Université des Antilles) et l’Institut d’Ecologie et des Sciences de l’Environnement (CNRS/Sorbonne Université/INRA/IRD) et un laboratoire australien, des chercheurs ont étudié comment de nouvelles connaissances taxonomiques pouvaient influencer le choix des espèces ou des sites à conserver en priorité pour optimiser la préservation de l’histoire évolutive du vivant.Ils ont montré que la perte attendue d’histoire évolutive augmente lorsqu’une espèce est scindée en deux ; elle est donc sous-estimée si cette scission n’est pas rapidement reconnue, ce qui peut mener à des choix de conservation non optimaux.
Au cours des dernières décennies, les nouveaux outils de la systématique ont permis de mieux délimiter les espèces. Nombreuses sont celles qui se sont ainsi vues scindées en plusieurs nouvelles espèces. Ces dernières, nouvellement délimitées, ont des aires de distribution et des tailles de populations plus restreintes que les espèces dont elles sont issues, et présentent donc potentiellement un risque d’extinction plus élevé. Elles sont en revanche moins originales d’un point de vue évolutif que les espèces dont elles sont issues. Cela pose question au moment où, face à l’ampleur de la crise de la biodiversité, l’on veut optimiser le choix des espèces ou des sites à conserver pour améliorer la préservation de l’histoire évolutive du vivant. Se faisant sur la base d’indices qui prennent en comptent l’originalité évolutive et le risque d’extinction des espèces, ces choix pourraient en effet être influencés par les scissions d’espèces.
Dans l’article paru dans Biological Conservation, les chercheurs du Centre d’Ecologie des Sciences de la Conservation (CESCO - CNRS/MHNH/Sorbonne Université), du Laboratoire Biologie des Organismes et des Ecosystèmes Aquatiques (CNRS/MNHN/Sorbonne Université/IRD/ Université Caen Normandie/Université des Antilles), de l’Institut de Systématique, Evolution, biodiversité (CNRS/MNHN/Sorbonne Université/EPHE/Université des Antilles) et de l’Institut d’Ecologie et des Sciences de l’Environnement (CNRS/Sorbonne Université/INRA/IRD) ont analysé l’influence de la scission d’une espèce en deux espèces sœurs sur des indices estimant la perte d’histoire évolutive à laquelle on peut s’attendre dans le futur. Après avoir prédit l’effet d’une telle scission dans le cas théorique où une espèce A est scindée en deux espèces sœurs A1 et A2, ils ont appliqué leurs prédictions au cas concret des Rhinocerotidae - famille pour laquelle des taxonomistes suggèrent que le Rhinocéros blanc devrait être scindée en deux espèces : celle du Nord et celle du Sud.
La perte attendue d’histoire évolutive augmente lorsqu’une espèce est scindée en deux, et est donc sous-estimée quand les scissions d’espèces validées par les taxonomistes ne sont pas reconnues. Cette sous-estimation peut mener à des stratégies de conservation non optimales : les choix d’espèces ou de sites à conserver en priorité peuvent différer des espèces ou des sites qui méritent réellement cette attention de conservation. Par exemple, dans la famille des Rhinocerotidae, le Rhinocéros blanc a la plus faible priorité de conservation si l’on considère que c’est une seule espèce, mais le Rhinocéros blanc du Nord a une priorité de conservation plus élevée que le Rhinocéros indien si l’on considère que le Rhinocéros blanc est constitué d’une espèce Nord et d’une espèce Sud (voir schéma ci-dessous). Sachant que le Rhinocéros blanc du Nord est considéré comme éteint depuis la mort du dernier mâle en 2018, on peut se demander à quel point son élévation au rang d’espèce, en le faisant remonter dans les priorités de conservation, aurait pu éviter ou retarder son extinction.
Au-delà de la préservation de l’histoire évolutive, cet article illustre l’importance de prendre en compte la dynamique des connaissances systématiques et taxonomiques dans les stratégies de conservation et permet de discuter de la pertinence des priorités de conservation espèces-centrées dans un contexte où les délimitations d’espèces sont régulièrement remises en question.
Référence
Robuchon M., Faith D.P., Julliard R., Leroy B., Pellens R., Robert A., Thévenin C., Véron S., Pavoine S. 2019. Species splitting increases estimates of evolutionary history at risk. Biological Conservation, 235:27-35