Les petites populations font de gros génomes

Résultats scientifiques

Pourquoi les tailles de génomes varient-elles si fortement d'une espèce à une autre ? Pour s'attaquer à cette question difficile, des chercheurs du Laboratoire d'écologie des hydrosystèmes naturels et anthropisés (LEHNA - CNRS / Université Lyon 1/ ENTPE) et du laboratoire biométrie et biologie évolutive (LBBE, CNRS / Université Lyon 1) et de l’Université de Copenhague, ont étudié les génomes d'espèces qui ont colonisé un habitat unique : le milieu souterrain. Publié dans la revue Genome Research, les chercheurs ont montré que suite à la colonisation du milieu souterrain, la baisse des tailles de population conduit à une diminution de l'efficacité de la sélection naturelle à lutter contre les éléments répétés et envahissants du génome. In fine, les tailles de génome dépendent bien des tailles de population.

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Les tailles de génome d’eucaryotes sont extrêmement variables. Chez les animaux on observe des variations allant du plus petit génome découvert chez un nématode (20Mb, Pratylenchus coffea) à des génomes gigantesques comme chez le dipneuste (130Gb, Protopterus aethiopicus). Ces variations ont longtemps alimenté un débat autour du paradoxe de l'absence de relation entre taille des génomes et complexité biologique. « Grâce au séquençage de génomes entiers, nous savons aujourd'hui que ces fortes variations de taille de génomes ne sont pas liées au nombre de gènes portés par un génome mais sont en grande partie déterminées par l'activité d'éléments capables de s'auto-répliquer (les éléments transposables) », explique Tristan Lefébure, chercheur au LEHNA et co-auteur de l’article. Le mystère est maintenant de savoir pourquoi ces éléments sont beaucoup plus fréquents dans certaines espèces que dans d'autres.

Une hypothèse développée dans les années 2000 par Michael Lynch met en avant le rôle des tailles de population. Quand le nombre d'individu d'une population décroît, les phénomènes stochastiques (ici la dérive génétique) augmentent et diminuent l'efficacité de la sélection naturelle à éliminer les mutations légèrement délétères. Lynch propose que l'activité des éléments transposables et l'augmentation des tailles de génomes ont un effet faible mais négatif sur la survie des organismes et que dans des conditions de faible taille de population, la sélection naturelle luttera moins efficacement contre la prolifération de ces éléments. La théorie prédit donc une relation négative entre taille de population et taille de génome. Bien que formulée il y a 15 ans, cette hypothèse reste très difficile à tester à cause de l'absence de données adéquates.

Pour tester cette hypothèse, les chercheurs ont utilisé un modèle de transitions écologiques depuis les eaux de surface vers les eaux souterraines. En effet de nombreuses espèces ont colonisé les eaux souterraines, et se faisant, elles ont colonisé un habitat pauvre en ressources nutritives, contraignant fortement leur taille de population. En sélectionnant des couples d'espèces de surface et leurs espèces sœurs souterraines (11 couples), l’équipe de scientifiques ont ainsi pu tester l'impact d'une diminution de taille de population sur la taille des génomes. Grâce au séquençage du transcriptome de ces 22 espèces, l’équipe de scientifiques a montré que les espèces souterraines accumulent plus rapidement des substitutions faiblement délétères dans leurs gènes, démontrant ainsi un lien direct entre le passage à la vie souterraine, la baisse des tailles de population et la diminution de l’efficacité de la sélection naturelle. En même temps que l’efficacité de la sélection naturelle diminue, les chercheurs ont observé que chez les espèces souterraines les tailles de génomes augmentent sous l'effet de l'accumulation d'éléments transposables. Les habitats souterrains et les espèces qui les colonisent, offrent un théâtre écologique unique qui vient, 15 ans après la théorie, démontrer que les tailles de génomes sont sous le contrôle des tailles de population.

Référence
Less effective selection leads to larger genomes
, par Lefébure T, Morvan C, Malard F, François C, Konecny-Dupré L, Guéguen L, Weiss-Gayet M, Seguin-Orlando A, Ermini L, Der Sarkissian C, Charrier NP, Eme D, Mermillod-Blondin F, Duret L, Vieira C, Orlando L, Douady C. le 19 avril 2017 dans Genome Research
doi: 10.1101/gr.212589.116.

Contact chercheur

Tristan Lefebure
Laboratoire d'Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA – CNRS/ENTPE/Univ. Claude Bernard)
06 52 69 14 54 | tristan.lefebure@univ-lyon1.fr