Evolution : mise en évidence des mécanismes de spéciations grâce aux escargots du Malawi
Deux individus du gastéropode Lanistes en copulation. L’image a été prise lors d’une expérience d’hybridation entre deux espèces nominales de la radiation évolutive de Lanistes dans le bassin de Malawi. © Bert Van Bocxlaer

Evolution : mise en évidence des mécanismes de spéciations grâce aux escargots du Malawi

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Comment de nouvelles espèces apparaissent ? Quels sont les évènements qui précèdent et entraînent la divergence génétique d’une population ? Quels sont les moteurs de l’évolution ? Ces questions sont complexes et il est souvent impossible d’y répondre pour un groupe taxonomique donné, faute de validation scientifique. Néanmoins, Bert Van Bocxlaer, paléobiologiste au laboratoire Évolution, Écologie et Paléontologie(CNRS/Université de Lille), a réussi à obtenir certains éléments de réponse en étudiant les escargots qui peuplent le lac Malawi. Ces gastéropodes endémiques, dont l’histoire évolutive a débuté relativement récemment et qui ne comptent que quelques espèces, ont en effet permis de retracer, avec une rare précision, la succession d’évènements qui ont conduit à l’apparition de quatre groupes distincts d’individus. Les résultats de cette étude ont été publiés dans la revue Proceedings of the Royal Society le 13/09/2017.

Le lac Malawi, situé en Afrique de l’Est, qui s’étire sur près de 600 km, abrite une faune aquatique d’une richesse remarquable. S’y trouvent en particulier des escargots endémiques dont la forme et la couleur de leurs coquilles spiralées permettent de distinguer quatre espèces principales de Lanistes. Pour tenter de mettre à jour l’histoire évolutive de cette lignée de gastéropodes, Bert Van Bocxlaer, paléobiologiste au laboratoire Évolution, Écologie et Paléontologiedu CNRS et de l’Université de Lille, a décidé de s’intéresser à leur patrimoine génétique et à leur environnement. « En temps normal, il est extrêmement difficile d’identifier les facteurs qui conduisent des populations à se diversifier et à devenir des espèces distinctes, expose le chercheur. Mais avec les Lanistes, c’est possible. Car l’histoire de leur lignée a débuté récemment, il y a seulement 100 000 ans, et ne concerne que quelques espèces. »

Pour comprendre les mécanismes mis en jeu dans l’évolution de ces gastéropodes, Bert Van Bocxlaer a réalisé une étude comparative en s’appuyant sur le profil morphologique, génétique et environnemental de 182 individus. Les analyses ont alors révélé une séparation géographique très nette entre deux groupes, situés au nord et au sud du lac, mais également un clivage des populations en fonction de leur habitat. « Deux premières populations de gastéropodes ont été séparées lorsque le niveau du lac est remonté, il y a environ 100 000 ans, après une grande période de sécheresse, interprète le chercheur. A la suite de cette redistribution géographique, le niveau du lac est resté stable pendant 60 000 ans, ce qui a permis aux populations d’escargots de s’adapter à deux types de milieu présents dans chaque région ». La lignée de gastéropode a donc connu deux vagues de différenciations génétiques : une première liée à des contraintes géographique et une seconde, plus récente, lié à des contraintes d’habitat. Le tout conduisant à la formation de quatre groupes de gastéropodes bien distincts. « C’est très rare de pouvoir observer ces mécanismes aussi clairement », ajoute le chercheur.

Image retirée.
Modèle conceptuel de la différenciation génétique et morphologique dans la radiation du gastéropode Lanistes dans le bassin de Malawi. Lorsque le niveau du lac Malawi est remonté, il y a environ 100 000 ans, deux premières populations de gastéropodes ont été séparées. A la suite de cette redistribution géographique le niveau du lac est reste stable pendant 60 000 ans, ce qui a permis aux populations d’escargots de s’adapter à deux types de milieu présents dans chaque région. Crédit image : Bert Van Bocxlaer.

Ces recherches ont ainsi apporté de nouvelles informations sur les processus qui gouvernent l’apparition de nouvelles espèces. « Pour la plupart des espèces étudiées jusqu’à présent, il était impossible de savoir comment les différents mécanismes de la différenciation génétique avaient contribué à la spéciation, remarque Bert Van Bocxlaer. Cette fois-ci, avec les escargots du Malawi, il est possible de distinguer clairement les deux signatures et d’étudier les relations complexes qui se jouent entre les différents facteurs d’évolution ». Ces résultats soulèvent également de nouvelles interrogations sur la façon de définir les espèces car les quatre groupes de Lanistes identifiés ne correspondent pas aux quatre espèces décrites dans la littérature, à partir de seuls critères morphologiques.

Référence
Van Bocxlaer, B. 2017. Hierarchical structure of ecological and non-ecological processes of differentiation shaped ongoing gastropod radiation in the Malawi Basin. Proc. Biol. Sci. 284: e20171494. Doi: 10.1098/rspb.2017.1494.

Contact chercheur

Bert Van Bocxlaer
Evolution, Ecologie et Paléontologie (Evo-Eco-Paleo -CNRS / Université de Lille)
Bert.van-bocxlaer@univ-lille1.fr