Datation 14C inédite des améliorations climatiques glaciaires en Europe continentale grâce aux granules de vers de terre !

Résultats scientifiques Interaction Homme-Milieux

La chronologie de nombreux sols et couches de pergélisol développés dans la grande plaine européenne a été établie récemment par une équipe pluridisciplinaire française 1 dans les dépôts éoliens, ou loess 2, du site de référence de Nussloch (vallée du Rhin, Allemagne). La qualité des âges obtenus par un protocole innovant utilisant les granules de vers de terre a permis pour la première fois la distinction chronologique de tous les horizons de ce site et leur corrélation avec tous les épisodes de réchauffement climatique abrupt, ou interstades 3, identifiés au Groenland entre -47 000 et -20 000 ans. Quelques couches de pergélisol surnuméraires reflètent en outre l’impact de faibles oscillations climatiques entre -27 000 et -20 000 ans, sans équivalents dans les carottes de glace du Groenland. Ces résultats publiés récemment PNAS révèlent la haute sensibilité des environnements loessiques aux changements climatiques glaciaires ainsi qu’une dynamique climatique plus complexe aux moyennes qu’aux hautes latitudes pendant la phase la plus froide de la dernière glaciation.

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Prélèvement en colonne continue par tranches de 5 cm d’épaisseur des échantillons malacologiques de la séquence loessique de Nussloch (vallée du Rhin, Allemagne). © Pierre Antoine, Laboratoire de Géographie Physique : Environnements Quaternaires et Actuels, CNRS

A l’échelle de l’hémisphère nord, l’alternance cyclique de phases froides (stades) et plus clémentes (interstades) du dernier glaciaire (~ -109000 à -14000 ans) est très bien décrite par l’étude des carottes de glace du Groenland et des séquences marines de l’Atlantique nord. En Europe méditerranéenne, son impact sur la végétation et le climat est caractérisé par les pollens de dépôts lacustres et marins et par les isotopes de stalagmites. A contrario, le lien restait à démontrer entre la cyclicité climatique et l’alternance d’unités de loess et de sol, ou de pergélisol, des environnements périglaciaires d’Europe continentale situés en périphérie des calottes de glace scandinave, britannique et alpine.

En effet, en l’absence de restes organiques datables par le radiocarbone dans ces séquences, ces corrélations ont toujours été limitées par l’utilisation de méthodes de datation à la précision insuffisante basées sur la luminescence des grains minéraux. La datation de coquilles de mollusques terrestres présentant ses propres inconvénients. Or, outre de nombreuses coquilles de mollusques, les sols et couches de pergélisol renferment également de grandes quantités de granules de calcite produits par les vers de terre. L’équipe a donc choisi de développer un protocole de datation radiocarbone applicable à ces corpuscules biocristallins. C’est aujourd’hui chose faite. Le pari s’est donc révélé gagnant au vu des résultats, très concluants, obtenus.

En perspective, la possibilité de corréler précisément les séquences loessiques entre elles et avec les enregistrements climatiques va permettre de reconstituer les gradients paléoenvironnementaux régionaux, voire continentaux, propres à chaque phase climatique. A long terme, l’objectif est de replacer les sites préhistoriques d’Europe continentale dans un cadre environnemental de référence bien daté afin d’étudier avec précision l’impact de la variabilité climatique millénaire glaciaire sur les dynamiques spatiales et temporelles de la végétation, de la grande faune et des peuplements humains aux époques où l’Homme de Neandertal et les premiers hommes modernes parcouraient l’Europe.

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Vue au microscope électronique à balayage de la surface d’un granule de vers de terre. © CoDEM / BATLAB (Dury, France)

Notes

  1. Ces travaux impliquent des chercheurs du Laboratoire de Géographie Physique : Environnements Quaternaires et Actuels de Meudon (CNRS / Université Panthéon-Sorbonne / Université Paris-Est Créteil Val de Marne) [O.M., P.A., C.P.], du Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (CNRS / CEA / Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines / Université Paris-Saclay) [C.H., A.L.], de l’Institut d'Ecologie et des Sciences de l'Environnement de Paris (CNRS / Sorbonne-Universités - Université Pierre et Marie Curie / Université Paris-Est Créteil Val de Marne / Université Paris-Diderot / CNRS / INRA / IRD) [J.M.] et du Laboratoire de Météorologie Dynamique de Paris (CNRS / ENS / Université Pierre et Marie Curie / Ecole Polytechnique / Ecole des Ponts ParisTech) [D.-D.R.].
  2. Loess : sédiment carbonaté isotrope poreux, peu structuré, constitué en majorité de particules de 10 à 50 microns transportées et déposées par le vent principalement en domaine périglaciaire à la périphérie des grands inlandsis pendant les périodes glaciaires.
  3. Interstade : amélioration climatique de quelques centaines à quelques milliers d’années survenant en contexte glaciaire entre deux périodes froides – stades – et au mieux caractérisée par le développement local d’une végétation arborée de type forêt boréale aux moyennes latitudes européennes.

Référence
Olivier Moine, Pierre Antoine, Christine Hatté, Amaëlle Landais, Jérôme Mathieu, Charlotte Prud’homme, and Denis-Didier Rousseau. The impact of Last Glacial climate variability in west-European loess revealed by radiocarbon dating of fossil earthworm granules PNAS 2017 114 (24) 6209-6214; published ahead of print May 30, 2017

Contacts chercheurs

Olivier Moine
Laboratoire de Géographie Physique: Environnements Quaternaires et Actuels (CNRS/Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne/UPEC)
olivier.moine@lgp.cnrs.fr

Pierre Antoine
Laboratoire de Géographie Physique : Environnements Quaternaires et Actuels (CNRS/Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne/UPEC)
pierre.antoine@cnrs-bellevue.fr