D’anciennes extinctions tropicales aux hautes latitudes ont contribué au gradient de diversité latitudinal

Résultats scientifiques

Pourquoi y a t’il plus d’espèces dans les tropiques que dans les régions tempérées ? C’est une question sans cesse remise en avant mais ne trouvant pas de réponse consensuelle. Une étude publiée dans la revue Evolution impliquant des chercheurs de l’Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier (ISEM – CNRS/EPHE/IRD/Université de Montpellier) et du Real Jardín Botánico de Madrid (CSIC/RJB) propose une nouvelle hypothèse mettant en avant le rôle prépondérant, et sous-estimé, de l’extinction des espèces tropicales lors des changements climatiques et responsable de la faible diversité tempérée actuelle.

diversite tropicale
Sur la photographie sont figurés un boa émeraude (Corallus caninus), représentant l’ordre des Squamata, un tuatara (Sphenodon punctatus), représentant l’ordre des Rhynchocephalia, une tortue verte (Chelonia mydas), représentant l’ordre des Testudines, et un crocodile du Nil (Crocodylus niloticus), représentant l’ordre des Crocodilia. Ces ordres sont majoritairement distribués dans les tropiques. La concentration de leur diversité tropicale serait le résultat d’une combinaison d’anciens événements d’extinction dans les régions autrefois tropicales, qui sont aujourd’hui tempérées, mais aussi de dispersions vers les tropiques équatoriaux dus aux refroidissements climatiques depuis les derniers 50 millions d’années. © Wikimedia Commons.

Le nombre d'espèces augmente quand on se déplace des pôles vers l'équateur, décrivant ainsi un "gradient latitudinal de biodiversité". Le gradient latitudinal de biodiversité a été décrit pour une multitude d'organismes, des microbes aux mammifères, des environnements aquatiques à terrestres. Il représente l’un des patrons de biodiversité globale les plus frappants et aussi l’un des plus étudiés au cours des dernières décennies.

La diversité d’une région dépend de quatre mécanismes principaux que sont la spéciation, processus par lequel une population d'une espèce donne naissance à une autre ou d'autres espèces, l’extinction, impliquant la disparition d’une espèce, la dispersion, qui est le déplacement géographique d’une région à une autre, et enfin le temps. 

Il est communément admis que la majeure partie de la biodiversité de la planète a été générée dans les zones tropicales équatoriales, et qu'à partir de là, elle s'est ensuite étendue aux régions tempérées. Ainsi, un temps d'évolution plus long dans la région équatoriale, associé à des taux de spéciation plus élevés et une extinction plus faible, expliquerait la forte biodiversité tropicale actuelle et donc l'origine du gradient latitudinal de biodiversité.

Cependant les fossiles peuvent raconter une histoire différente. Contrairement au présent, il n'y avait pas de gradient latitudinal de la biodiversité dans le passé. Plusieurs études ont montré auparavant que la diversité était répartie de manière homogène entre les latitudes, résultant en un gradient dit plat et non en forme de cloche centrée sur l’équateur comme aujourd’hui. Cette tendance a été montrée chez des groupes aussi variés que les dinosaures, mammifères, insectes et plantes mais il n’a jamais été étudié comment le gradient latitudinal de biodiversité passe d’une forme plate à une forme en cloche.

En étudiant le registre fossile et les phylogénies moléculaires datées des trois groupes de sauropsides, à savoir les tortues, les crocodiles et les squamates (lézards, serpents), les équipes de l’Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier (ISEM – CNRS/EPHE/IRD/Université de Montpellier) et du Real Jardín Botánico de Madrid (CSIC/RJB) ont démontré qu'il n'y avait pas de gradient latitudinal de biodiversité dans le passé, contrastant ainsi avec la répartition des espèces observée au présent. Ceci a été révélé par une approche intégrative pour estimer l’origine géographique des groupes ainsi que leur écologie ancestrale mais aussi leurs taux de spéciation et d’extinction au cours du temps. Ces travaux sont publiés dans la revue Evolution.

Les résultats montrent que, depuis l’origine de ces trois groupes, les lignées ancestrales étaient réparties dans les hautes latitudes jusqu’à il y a plus de 50 millions d'années, lorsque le climat était tropical sur toute la planète. Pendant ces périodes climatiques chaudes, le nombre d'espèces a pu être homogène entre les différentes latitudes de la planète. Ceci est d’ailleurs confirmé par des taux de diversification (différence entre spéciation et extinction) égaux entre régions tropicales et régions tempérées.

Mais il y a 50 millions d’années le climat se refroidit, et une période de transition climatique s’installe. C’est durant cette transition climatique, où la Terre passe d’un climat globalement chaud et humide à un climat plus froid et sec, que le gradient latitudinal de biodiversité commence à prendre une forme de cloche. C’est une période cruciale dont les âges restent à définir, et l’étude inspecte deux intervalles de temps : de 51 à 34 millions d’années ou de 51 à 23 millions d’années. Dans les deux cas, les résultats montrent une augmentation drastique de l’extinction des espèces tropicales dans les hautes latitudes. Associées à ces extinctions, des événements de dispersion vers les tropiques équatoriaux sont aussi retrouvés en grande proportion.

schema processus evolutifs
Schéma des processus évolutifs pour expliquer la formation du gradient latitudinal de diversité dans le cadre de l’hypothèse « gradient asymétrique d’extinction et de dispersion ». Cette hypothèse prédit des changements de dynamiques évolutives entre régions holarctiques et équatoriales selon les périodes climatiques chaudes, les transitions climatiques entre période chaude et froide, et les périodes climatiques froides. Pour chaque intervalle climatique, les graphiques représentent la distribution hypothétique de la richesse spécifique à travers les latitudes et donc prédit la forme du gradient latitudinal de diversité.

Cela témoigne d’un facteur, le climat, affectant deux mécanismes : l’extinction et la dispersion. En effet, pendant la transition climatique de refroidissement, beaucoup des organismes adaptés aux climats tropicaux d'Eurasie et d'Amérique du Nord ont disparu ou ont migré vers des zones plus stables dans les régions équatoriales. Ce phénomène est particulièrement exacerbé vers 34 millions d’années, qui marque un événement d’extinction global suite à un refroidissement brutal.

Ainsi, le gradient latitudinal de biodiversité peut aussi s’expliquer par des extinctions tropicales dues au refroidissement climatique. Ceci a conduit les chercheurs à proposer hypothèse de « gradient asymétrique d’extinction et de dispersion » qui permet de réunir plusieurs autres hypothèses dans un contexte où les mécanismes agissant sur la biodiversité et la répartition géographique de la biodiversité ne sont pas constants au cours du temps, mais qu'ils varient en fonction des fluctuations climatiques permettant aux conditions tropicales de s’étendre vers les latitudes élevées ou au contraire de se rétracter vers l’équateur, comme aujourd’hui où les tropiques sont des refuges, des muséums de biodiversité.

 

Référence

Contact

Fabien L. Condamine
Chercheur CNRS - Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (CNRS/Université de Montpellier/IRD/EPHE)
Fadéla Tamoune
Communication - Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (ISEM - CNRS/Univ. Montpellier/IRD)