Les refroidissements climatiques passés et la compétition avec leurs cousins ont entraîné le déclin des requins Lamniformes

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Les facteurs influençant le succès ou le déclin d’un groupe sur des temps géologiques et à grande échelle géographique restent méconnus. Une étude publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA par des chercheurs de l’Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier (ISEM – CNRS/EPHE/IRD/Université de Montpellier) montre que l’histoire des Lamniformes (incluant le grand requin blanc) a été mouvementée et largement impactée par le refroidissement climatique conduisant à une disparition d’espèces mais aussi à la compétition avec son groupe frère, les Carcharhiniformes, qui a ralenti la création d’espèces.

Femelle grand requin blanc
Femelle adulte de grand requin blanc, Carcharodon carcharias, une des 15 espèces actuelles de l'ordre des requins Lamniformes. © George T. Probst.

La richesse spécifique n’est pas répartie aléatoirement entre les groupes d’organismes ou à la surface de la planète. Comprendre l'hétérogénéité de la diversité spécifique entre groupes étroitement apparentés est une question de recherche essentielle en écologie et en biologie de l'évolution. De nombreuses lignées se diversifient au fil du temps, et certaines d'entre elles finissent par décliner et être remplacées. Les causes de déclin de diversité sont peu étudiées et sont particulièrement difficiles à comprendre au cours des temps géologiques et à l'échelle mondiale.

De multiples hypothèses ont été proposées pour interpréter les contrastes de diversité à travers l'arbre de vie et les déclins de diversité, la plupart des études se concentrant sur les taux de spéciation pour expliquer les radiations évolutives des groupes, mais en négligeant souvent les taux d'extinction, pourtant un composant majeur de la dynamique de diversification.

Dans cette étude, les chercheurs ont étudié un modèle biologique emblématique tel qu'illustré par la relation de parenté entre les requins Lamniformes (15 espèces actuelles dont le grand requin blanc) et les requins de l’ordre des Carcharhiniformes (∼290 espèces actuelles comprenant le requin tigre).

À l'aide d’un registre fossile unique et dense couvrant les 140 derniers millions d'années de ces groupes de requins, les chercheurs ont inféré la dynamique de diversité des Lamniformes et montrent que cette diversité a fluctué selon des cycles de radiation et de déclin. Les phases de radiation ont atteint jusqu'à trois fois la diversité actuelle au début du Crétacé supérieur (entre 140 et 100 millions d’années). Au cours des 20 derniers millions d'années, le groupe a décliné jusqu’à sa diversité actuelle.

Des analyses complémentaires ont été réalisées pour tenter de comprendre les causes de ce long déclin. En plus d'un risque d'extinction plus élevé pour les jeunes espèces, nous montrons que ce déclin est probablement attribué à une combinaison de facteurs abiotiques et biotiques, avec une extinction due au refroidissement (corrélation négative entre la température et l'extinction) et une compétition avec certains requins Carcharhiniformes. La compétition entre groupes a conduit successivement à la disparition et au remplacement des requins Lamniformes en raison d'un échec à former des espèces nouvelles face à la montée des requins Carcharhiniformes, en particulier depuis les 50 derniers millions d’années. Ces effets proviennent d'espèces de Carcharhiniformes qui sont écologiquement similaires et inhibent la diversification des Lamniformes de taille moyenne et grande.

Ces résultats impliquent que l'interaction entre les facteurs abiotiques et biotiques a joué un rôle substantiel dans l'extinction et la spéciation, respectivement, et a influencé l'augmentation puis le déclin séquentiel de ces prédateurs marins.

schema requiins
Sur cette figure sont montrés en (A) Les trajectoires de diversité des 3 groupes Lamniformes et des 3 groupes Carcharhiniformes à l'échelle mondiale, et en (B) Le réseau montrant les effets dépendants de la diversité au sein des clades et entre elles sur les taux de spéciation. Chaque flèche indique l'intensité de l'interaction imposée par un groupe donné à un autre groupe, ce qui quantifie la proportion du changement de taux (diminution pour la spéciation) associée à l'ajout d'une espèce du groupe concurrent. F. Condamine & G. Guinot (CNRS & Université de Montpellier).

Référence

Condamine F.L., Romieu J. & Guinot G. (2019) Climate cooling and clade competition likely drove the decline of lamniform sharks. Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA.

Contact

Fabien L. Condamine
Chercheur CNRS - Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (CNRS/Université de Montpellier/IRD/EPHE)
Fadéla Tamoune
Communication - Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (ISEM - CNRS/Univ. Montpellier/IRD)